Page:Kropotkine - L’Anarchie, sa philosophie, son idéal.djvu/39

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Un jour, un légiste allemand de grand renom, Ihering, voulut résumer l’œuvre scientifique de sa vie et rédiger un traité dans lequel il se proposait d’analyser les facteurs qui maintiennent dans la société la vie sociale. « Le but dans le droit » (Der Zweck im Rechte), tel est le titre de cet ouvrage qui jouit d’une réputation bien méritée.

Il fit un plan élaboré de ce traité et discuta avec beaucoup d’érudition les deux facteurs coercitifs : le salariat et les autres formes de coercition inscrites dans la loi. À la fin de son ouvrage il réserva deux paragraphes pour mentionner les deux facteurs non coercitifs, auxquels il n’attachait, comme de raison chez un juriste, qu’une médiocre importance — le sentiment du devoir et le sentiment de sympathie.

Mais, qu’arriva-t-il ? À mesure qu’il analysait les facteurs coercitifs, il constatait leur insuffisance. Il leur consacra un volume entier d’analyse serrée, et le résultat fut… d’amoindrir leur importance. Quand il commença les deux derniers paragraphes, quand il se mit à réfléchir sur les facteurs non-coercitifs de la société, il s’aperçut de leur importance immense, prépondérante ; il se vit forcé d’écrire un second volume, deux fois plus gros que le premier, sur ces deux facteurs, la restreinte volontaire et l’appui mutuel — et encore n’analysa-t-il qu’une partie infime de ces derniers — ceux qui résultent des sympathies personnelles, — et toucha à peine à la libre entente qui résulte des institutions sociales.

Eh bien, cessez de répéter les formules apprises à l’école, pensez à ces idées et il vous arrivera la même chose qui est arrivée à Ihering : vous reconnaîtrez l’importance minime de la coercition, comparée au