Page:Kropotkine - L’Anarchie, sa philosophie, son idéal.djvu/54

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meilleur moyen pour assurer le triomphe de la réaction ?

La seule chose qu’il y ait à faire quand on voit des actes anti-sociaux se produire au nom de la liberté de l’individu, c’est de répudier le principe de « chacun pour soi et l’État pour tous », et d’avoir le courage de dire hautement et en face ce que l’on pense de ces actes. Cela peut, sans doute, amener le conflit ; mais le conflit c’est la vie même. Et, du conflit surgira une appréciation de ces actes, beaucoup plus juste que toutes celles qui eussent pu se produire sous la seule influence des idées acquises.

Quand le niveau moral d’une société baisse au point où il est aujourd’hui, attendons-nous d’avance à ce que la révolte contre cette société prenne quelquefois des formes qui nous feront frémir ; mais ne condamnons pas pour cela d’avance la révolte. Sans doute, les têtes promenées au bout des piques nous répugnent ; mais les gibets hauts et bas de l’Ancien Régime, et les cages de fer dont Victor Hugo nous a parlé n’ont-elles pas été cause de la promenade sanglante ? Espérons que le massacre de trente-cinq mille Parisiens en 1871 et le bombardement de Paris par Thiers auront passé sur la nation française sans y laisser un trop grand fond de férocité ; espérons que la vergonde de la haute pègre, mise à nu par tant de procès récents, n’aura pas encore rongé le cœur de la nation. Oui, espérons-le, aidons-y ! Mais si nos espérances sont déçues, vous, jeunes socialistes, tournerez-vous le dos au peuple révolté parce que la férocité des puissants du jour aura laissé ses traces dans l’esprit populaire ? Parce que la boue d’en haut aura semé au loin ses éclaboussures ?