Page:Kropotkine - L Entraide un facteur de l evolution, traduction Breal, Hachette 1906.djvu/199

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un village, les paysans le recevaient avec des fleurs dans une main et les armes dans l’autre, et lui demandaient quelle loi il avait l’intention d’appliquer : celle qu’il trouverait au village ou celle qu’il apportait avec lui ? Dans le premier cas ils lui tendaient les fleurs et le recevaient ; dans le second cas ils le repoussaient avec leurs armes[1].

Plus tard ils acceptèrent l’envoyé du roi ou du seigneur qu’ils ne pouvaient refuser ; mais ils conservaient la juridiction de l’assemblée populaire et nommaient eux-mêmes six, sept, ou douze juges, qui siégeaient avec le juge du seigneur en présence de l’assemblée et agissaient soit comme arbitres, soit pour trouver la sentence. Dans la plupart des cas le juge imposé n’avait rien à faire qu’à confirmer la sentence et à prélever le fred d’usage. Ce droit précieux d’autojuridiction, qui à cette époque signifiait auto-administration et auto-législation, avait été maintenu à travers toutes les luttes. Même les légistes dont Charlemagne était entouré ne purent l’abolir ; ils furent obligés de le confirmer. En même temps, pour toutes les affaires concernant le domaine de la communauté, l’assemblée du peuple conservait sa suprématie et (comme l’a montré Maurer) revendiquait souvent la soumission du seigneur lui-même dans les affaires de possession de terres. Nul développement de la féodalité ne put vaincre cette résistance ; et lorsqu’aux IXe et Xe siècles, les invasions des Normands, des Arabes et des Ougres eurent prouvé que les scholæ militaires étaient de peu de valeur pour arrêter les envahisseurs, un mouvement général commença dans toute l’Europe pour protéger les villages par des murs de pierres et des citadelles.

  1. Dr. F. Dahn, Urgeschichte der germanischen und romanischen Volker, Berlin, 1881, vol. I, 96.