Page:Kropotkine - L Entraide un facteur de l evolution, traduction Breal, Hachette 1906.djvu/259

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engageait dans des entreprises lointaines. Des colonies furent fondées par les Italiens dans le Sud-Est, par les cités allemandes dans l’Est, par les cités slaves vers l’extrême Nord-Est. On commença à entretenir des armées mercenaires pour les guerres coloniales, et bientôt aussi pour la défense de la cité elle-même. Des emprunts furent contractés dans des proportions démesurées qu’ils démoralisèrent complètement les citoyens ; et les querelles intérieures empirèrent à chaque élection où la politique coloniale, dans l’intérêt de quelques familles seulement, était en jeu. La division entre riches et pauvres devint plus profonde, et au XVIe siècle, dans chaque cité, l’autorité royale trouva des alliés empressés et un appui parmi les pauvres.

Il y eut encore une autre cause de la ruine des institutions communales, plus profonde à la fois, et d’un ordre plus élevé que toutes les précédentes. L’histoire des cités du moyen âge offre un des plus frappants exemples du pouvoir des idées et des principes sur les destinées de l’humanité, et de la différence absolue des résultats qui accompagnent toute profonde modification des idées directrices. La confiance en soi-même et le fédéralisme, la souveraineté de chaque groupe et la constitution du corps politique du simple au composé, étaient les idées directrices au XIe siècle. Mais depuis cette époque, les conceptions avaient entièrement changé. Les étudiants en Droit romain et les prélats de l’Église, étroitement unis depuis l’époque d’Innocent III, avaient réussi à paralyser l’idée — l’antique idée grecque — qui présida à la fondation des cités. Pendant deux ou trois cents ans, ils prêchèrent du haut de la chaire, enseignèrent à l’Université, prononcèrent au banc du Tribunal, qu’il fallait chercher le salut dans un État fortement centralisé, placé sous une autorité