Page:Kropotkine - L Entraide un facteur de l evolution, traduction Breal, Hachette 1906.djvu/56

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Les rivages en sont peuplés de myriades d’oiseaux aquatiques, appartenant à une vingtaine au moins d’espèces différentes, vivant tous dans une paix parfaite, tous se protégeant les uns les autres.


A plusieurs centaines de mètres du rivage, l’air est plein de goélands et d’hirondelles de mer comme de flocons de neige un jour d’hiver. Des milliers de pluviers et de bécasses courant sur le bord, cherchant leur nourriture, sifflant et jouissant de la vie. Plus loin, presque sur chaque vague, un canard se balance, tandis qu’au-dessus on peut voir des bandes de canards casarka. La vie exubérante abonde partout[1].


Et voici les brigands, les plus forts, les plus habiles, ceux qui sont « organisés d’une façon idéale pour la rapine ». Et vous pouvez entendre leurs cris affamés, irrités et lugubres, tandis que, pendant des heures entières, ils guettent l’occasion d’enlever dans cette masse d’êtres vivants un seul individu sans défense. Mais, sitôt qu’ils approchent, leur présence est signalée par des douzaines de sentinelles volontaires, et des centaines de goélands et d’hirondelles de mer se mettent à chasser le pillard. Affolé par la faim, le pillard oublie bientôt ses précautions habituelles ; il se précipite soudain dans la masse vivante ; mais, attaqué de tous côtés, il est de nouveau forcé à la retraite. Désespéré, il se rejette sur les canards sauvages, mais ces oiseaux, intelligents et sociables, se réunissent rapidement en troupes, et s’envolent si le pillard est un aigle ; ils plongent dans le lac, si c’est un faucon ; ou bien, ils soulèvent un nuage de poussière d’eau et étourdissent l’assaillant, si c’est un milan[2]. Et tandis

  1. Phénomènes périodiques, de Sievertsoff (en russe), p. 251.
  2. Seyfferlitz, cité par Brehm, IV, 760.