Page:Kropotkine - La Conquête du pain.djvu/205

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gain ou du salaire ? Cette hérésie pénètre jusque dans les universités : on la hasarde dans les livres d’orthodoxie économiste. Ce qui n’empêche pas un très grand nombre de réformateurs socialistes de rester partisans de la rémunération individuelle et de défendre la vieille citadelle du salariat, alors même que ses défenseurs d’autrefois la livrent déjà pierre par pierre à l’assaillant.


Ainsi on redoute que, sans contrainte, la masse ne veuille pas travailler.

Mais, n’avons-nous pas déjà entendu, de notre vivant, exprimer ces mêmes appréhensions à deux reprises, par les esclavagistes des États-Unis avant la libération des nègres, et par les seigneurs russes avant la libération des serfs ? — « Sans le fouet, le nègre ne travaillera pas », — disaient les esclavagistes. — « Loin de la surveillance du maître, le serf laissera les champs incultes », disaient les boyards russes. — Refrain des seigneurs français de 1789, refrain du moyen âge, refrain vieux comme le monde, nous l’entendons chaque fois qu’il s’agit de réparer une injustice dans l’humanité.

Et chaque fois, la réalité vient lui donner un démenti formel. Le paysan affranchi de 1792 labourait avec une énergie farouche inconnue à ses ancêtres ; le nègre libéré travaille plus que ses pères ; et le paysan russe, après avoir honoré la lune de miel de son affranchissement en fêtant la Saint-Vendredi à l’égal du dimanche, a repris le travail avec d’autant plus d’âpreté que sa libération a été plus complète. Là où la terre ne lui manque pas, il laboure avec acharnement, — c’est le mot.

Le refrain esclavagiste peut avoir sa valeur pour