Page:Kropotkine - La Conquête du pain.djvu/210

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doit se contenter des bribes qui tombent de la table des privilégiés.

Nous comprenons donc que dans ces conditions, le travail manuel soit considéré comme une malédiction du sort.

Nous comprenons que tous n’aient qu’un rêve : celui de sortir ou de faire sortir leurs enfants de cette condition inférieure : de se créer une situation « indépendante », — c’est-à-dire, quoi ? — de vivre aussi du travail d’autrui !

Tant qu’il y aura une classe de travailleurs des bras et une autre classe de « travailleurs de la pensée » — les mains noires, les mains blanches, — il en sera ainsi.


Quel intérêt, en effet, peut avoir ce travail abrutissant pour l’ouvrier, qui d’avance connaît son sort, qui du berceau à la tombe, vivra dans la médiocrité, la pauvreté, l’insécurité du lendemain ? Aussi, quand on voit l’immense majorité des hommes reprendre chaque matin la triste besogne, on reste surpris de leur persévérance, de leur attachement au travail, de l’accoutumance qui leur permet, comme une machine, obéissant en aveugle à l’impulsion donnée, de mener cette vie de misère sans espoir du lendemain, sans même entrevoir en de vagues lueurs qu’un jour, eux, ou du moins leurs enfants, feront partie de cette humanité, riche enfin de tous les trésors de la libre nature, de toutes les jouissances du savoir et de la création scientifique et artistique, réservées aujourd’hui à quelques privilégiés.

C’est précisément pour mettre fin à cette séparation entre le travail de la pensée et le travail manuel, que