Page:Kropotkine - La Conquête du pain.djvu/282

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Mais nous allons plus loin. Nous affirmons que l’agriculture est dans le même cas que l’industrie : le laboureur, comme le manufacturier, possède déjà les moyens de quadrupler, sinon de décupler sa production, et il pourra le faire dès qu’il en sentira le besoin et procédera à l’organisation sociétaire du travail, en lieu et place de l’organisation capitaliste.


Chaque fois que l’on parle d’agriculture, on s’imagine toujours le paysan courbé sur la charrue, jetant au hasard dans le sol un blé mal trié et attendant avec angoisse ce que la saison, bonne ou mauvaise, lui rapportera. On voit une famille travaillant du matin au soir et n’ayant pour toute récompense qu’un grabat, du pain sec et une aigre boisson. On voit, en un mot, « la bête fauve » de La Bruyère.

Et pour cet homme, assujetti à la misère, on parle tout au plus d’alléger l’impôt ou la rente. Mais on n’ose même pas s’imaginer un cultivateur redressé enfin, prenant des loisirs et produisant en peu d’heures par jour de quoi nourrir, non seulement sa famille, mais cent hommes en plus, au bas mot. Au plus fort de leurs rêves d’avenir, les socialistes n’osent aller au delà de la grande culture américaine qui, au fond, n’est que l’enfance de l’art.

L’agriculteur d’aujourd’hui a des idées plus larges, des conceptions bien autrement grandioses. Il ne demande qu’une fraction d’hectare pour faire croître toute la nourriture végétale d’une famille ; pour nourrir vingt-cinq bêtes à cornes il ne lui faut pas plus d’espace qu’autrefois pour en nourrir une seule ; il veut en arriver à faire le sol ; à défier les saisons et le climat ; à chauffer l’air et la terre autour de la jeune