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Page:Kropotkine - La Conquête du pain.djvu/69

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de va-nu-pieds. Puis, il prendra un apprenti, — l’enfant d’un misérable qui s’estimera heureux si, au bout de cinq ans, son fils apprend le métier et parvient à gagner sa vie.

L’apprenti « rapportera » à notre cordonnier, et, si celui-ci a de la clientèle, il s’empressera de prendre un second, puis un troisième élève. Plus tard, il aura deux ou trois ouvriers, — des misérables, heureux de toucher trois francs par jour pour un travail qui en vaut six. Et si notre cordonnier « a la chance » c’est-à-dire, s’il est assez malin, ses ouvriers et ses apprentis lui rapporteront une vingtaine de francs par jour en plus de son propre travail. Il pourra agrandir son entreprise, il s’enrichira peu à peu et n’aura pas besoin de se priver du strict nécessaire. Il laissera à son fils un petit magot.

Voilà ce qu’on appelle « faire de l’épargne, avoir des habitudes de sobriété ». Au fond, c’est tout bonnement exploiter des meurt-de-faim.


Le commerce semble faire exception à la règle. « Tel homme, nous dira-t-on, achète du thé en Chine, l’importe en France et réalise un bénéfice de trente pour cent sur son argent. Il n’a exploité personne ».

Et cependant, le cas est analogue. Si notre homme avait transporté le thé sur son dos, à la bonne heure ! Jadis, aux origines du moyen âge, c’est précisément de cette manière qu’on faisait le commerce. Aussi ne parvenait-on jamais aux étourdissantes fortunes de nos jours : à peine si le marchand d’alors mettait de côté quelques écus après un voyage pénible et dangereux. C’était moins la soif du gain que le goût des voyages et des aventures qui le poussait à faire le commerce.