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CHAPITRE II

C’est pourquoi, bien avant que la Révolution eût éclaté, l’idéal d’un État centralisé et bien ordonné, gouverné par les classes qui possèdent des propriétés foncières ou industrielles, ou qui s’adonnent aux professions libérales, fut déjà entrevu et exposé dans un grand nombre de livres et de pamphlets, dans lesquels les hommes d’action de la Révolution puisèrent plus tard leur inspiration et leur énergie raisonnée.

C’est pourquoi la bourgeoisie française, au moment d’entrer, en 1789, dans la période révolutionnaire, savait bien ce qu’elle voulait. Certainement elle n’était pas républicaine — l’est-elle aujourd’hui même ? Mais elle ne voulait pas non plus du pouvoir arbitraire du roi, du gouvernement des princes et de la Cour, des privilèges des nobles qui accaparaient les meilleures places dans le gouvernement, mais ne savaient que piller l’État, comme ils pillaient leurs immenses propriétés, sans les faire valoir. Elle était républicaine dans ses sentiments et elle voulait la simplicité républicaine dans les mœurs — comme les républiques naissantes d’Amérique ; mais elle voulait aussi le gouvernement par les classes possédantes.

Sans être athée, elle était plutôt libre penseuse, mais ne détestait nullement le culte catholique. Ce qu’elle détestait, c’était surtout l’Église, avec sa hiérarchie, ses évêques faisant cause commune avec les princes, et ses curés, devenus instruments dociles entre les mains des nobles.

La bourgeoise de 1789 comprenait que le moment était arrivé, en France — comme il était arrivé cent quarante ans auparavant en Angleterre, — où le Tiers-État