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Page:Kropotkine - La Morale anarchiste.djvu/12

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Eh bien, nous ne voulons ni du curé ni du juge. Et nous disons simplement : « L’assa fœtida pue, le serpent me mord, le menteur me trompe ? La plante, le reptile et l’homme, tous trois, obéissent à un besoin de la nature. Soit ! Eh bien, moi, j’obéis aussi à un besoin de ma nature en haïssant la plante qui pue, la bête qui tue par son venin et l’homme qui est encore plus venimeux que la bête. Et j’agirai en conséquence, sans m’adresser pour cela ni au diable, que je ne connais d’ailleurs pas, ni au juge que je déteste bien plus encore que le serpent. Moi, et tous ceux qui partagent mes antipathies, nous obéissons aussi à un besoin de notre nature. Et nous verrons lequel des deux a pour lui la raison et, partant, la force. »

C’est ce que nous allons voir, et par cela même nous verrons que si les saint Augustin n’avaient pas d’autre base pour distinguer entre le bien et mal, le monde animal en a une autre bien plus efficace. Le monde animal en général, depuis l’insecte jusqu’à l’homme, sait parfaitement ce qui est bien et ce qui est mal, sans consulter pour cela ni la bible ni la philosophie. Et s’il en est ainsi, la cause en est encore dans les besoins de leur nature : dans la préservation de la race et, partant, dans la plus grande somme possible de bonheur pour chaque individu.


IV

Pour distinguer entre ce qui est bien et ce qui est mal, les théologiens mosaïques, bouddhistes, chrétiens et musulmans avaient recours à l’inspiration divine. Ils voyaient que l’homme, qu’il soit sauvage ou civilisé, illettré ou savant, pervers ou bon et honnête, sait toujours s’il agit bien ou s’il agit mal, et le sait surtout quand il agit mal ; mais, ne trouvant pas d’explication à ce fait général, ils y ont vu une inspiration divine. Les philosophes métaphysiciens nous ont parlé à leur tour de conscience, d’impératif mystique, ce qui d’ailleurs n’était qu’un changement de mots.

Mais, ni les uns ni les autres n’ont su constater ce fait si simple et si frappant que les animaux vivant en société savent aussi distinguer entre le bien et le mal, tout à fait comme l’homme. Et, ce qui est plus que leurs conceptions sur le bien et le mal sont absolument du même genre que celles de l’homme. Chez les représentants les mieux développés de chaque classe séparée — poissons, insectes, oiseaux, mammifères — elles sont même identiques.

Les penseurs du dix-huitième siècle l’avaient bien remarqué, mais on l’a oublié depuis, et c’est à nous qu’il revient maintenant de faire ressortir toute l’importance de ce fait.


Forel, cet observateur inimitable des fourmis, a démontré par une masse d’observations et de faits, que lorsqu’une fourmi, qui a bien rempli de miel son jabot, rencontre d’autres fourmis au ventre vide, celles-ci lui demandent immédiatement à manger. Et parmi ces petits