Page:Kropotkine - La Morale anarchiste.djvu/9

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conscience de sa lâcheté, et ne revient à la vie qu’après avoir accompli l’acte de vengeance, il fait un acte, parfois héroïque, pour se débarrasser d’un sentiment qui l’obsède, pour reconquérir la paix intérieure qui est le suprême plaisir.

Quand une troupe de singes a vu l’un des siens tomber sous la balle du chasseur, et vient assiéger sa tente pour lui réclamer le cadavre, malgré les menaces du fusil ; lorsque enfin le vieux de la bande entre carrément, menace d’abord le chasseur, le supplie ensuite et le force enfin par ses lamentations à lui restituer le cadavre, et que la troupe l’emporte avec gémissements dans la forêt, les singes obéissent à un sentiment de condoléances plus fort que toutes les considérations de sécurité personnelle. Ce sentiment prime en eux tous les autres. La vie même perd pour eux ses attraits, tant qu’ils ne se sont pas assurés qu’ils ne peuvent plus ramener leur camarade à la vie. Ce sentiment devient si oppressif que les pauvres bêtes risquent tout pour s’en débarrasser.

Lorsque les fourmis se jettent par milliers dans les flammes d’une fourmilière que cette bête méchante, l’homme, a allumée, et périssent par centaines pour sauver leurs larves, elles obéissent encore à un besoin, celui de sauver leur progéniture. Elles risquent tout pour avoir le plaisir d’emporter ces larves qu’elles ont élevées avec plus de soins que mainte bourgeoise n’a élevé ses enfants.

Enfin, lorsqu’un infusoire évite un rayon trop fort de chaleur, et va rechercher un rayon tiède, ou lorsqu’une plante tourne ses fleurs vers le soleil, ou referme ses feuilles à l’approche de la nuit, — ces êtres obéissent encore au besoin d’éviter la peine et de rechercher le plaisir — tout comme la fourmi, le singe, l’Australien, le martyr chrétien ou le martyr anarchiste.


Rechercher le plaisir, éviter la peine, c’est le fait général (d’autres diraient la loi) du monde organique. C’est l’essence même de la vie.

Sans cette recherche de l’agréable, la vie même serait impossible. L’organisme se désagrégerait, la vie cesserait.


Ainsi, quelle que soit l’action de l’homme, quelle que soit sa ligne de conduite, il le fait toujours pour obéir à un besoin de sa nature. L’acte le plus répugnant, comme l’acte indifférent ou le plus attrayant, sont tous également dictés par un besoin de l’individu. En agissant d’une manière ou d’une autre, l’individu agit ainsi parce qu’il y trouve un plaisir, parce qu’il évite de cette manière ou croit éviter une peine.

Voilà un fait parfaitement établi ; voilà l’essence de ce que l’on a appelé la théorie de l’égoïsme.


Eh bien, sommes-nous plus avancés après être arrives à cette conclusion générale ?

— Oui, certes, nous le sommes. Nous avons conquis une vérité et détruit un préjugé qui est la racine de tous les préjugés. Toute la