Page:Kropotkine - Les Expédients économiques, paru dans les Temps nouveaux, 19 juillet 1895.djvu/4

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lisait peu ou point, osait à peine réfléchir sur l’ensemble de la société et se laissait mener par les bourgeois révoltés ; et que ceux-ci, de par toute leur instruction, étaient enclins à négliger les questions économiques et ne rêver que liberté de la presse, des meetings et des coalitions, — le « régime démocratique », en un mot, comme remède à toutes les souffrances.

En cela, les premiers communistes de notre siècle ont rendu un service immense à la cause de la civilisation. À eux, nous devons toute cette génération de socialistes d’avant 1848, avec leurs descendants — Proudhon, Marx, Bakounine, — qui mirent en relief la question sociale, économique, et lancèrent cette idée, formulée tant de fois avant 1848 et reprise plus tard dans l’Internationale : l’idée de la lutte économique, de l’affranchissement économique, placés au-dessus des luttes politiques.

Mais pour contenir toute la vérité, au lieu d’un côté seulement de la vérité, il fallait cependant placer à côté de cette formule son complément nécessaire. Et c’est ce qui ne fut pas fait alors.

Sans doute, les conditions économiques font l’esclavage. Sans doute, le serf du sol ou de la machine ne sera jamais un citoyen libre. Sans doute, l’esclavage politique durera tant que l’esclavage économique existera.

Mais de ces deux formes de sujétion, économique et politique, aucune ne peut être considérée comme mère de l’autre. Les deux marchent la main dans la main, et l’une engendre l’autre à tour de rôle. Dans la tribu primitive et même dans la communauté villageoise qui lui succède dans l’histoire, tel individu peut s’appauvrir à la suite d’accidents. Mais la tribu et la communauté ont toute une série d’arrangements pour obvier à cet inconvénient et rétablir l’égalité. Ce n’est que lorsque les premiers germes de l’État apparaissent dans la tribu ou la communauté, qu’il surgit un organisme de coutumes, et plus tard de lois, pour maintenir l’inégalité, pour rendre la pauvreté ainsi que la richesse permanentes et exploiter celle-là au profit de celle-ci.

Et, à mesure que l’État se développe et grandit, il développe tout un rouage immense pour maintenir et exagérer les inégalités de fortunes et, partant, la domination économique du riche sur le pauvre.

Le servage en fut une des formes dans l’histoire. Mais, cette forme disparue, d’autres formes nouvelles de la même domination se sont élaborées dans l’État et par l’État, et elles atteignent aujourd’hui leur développement le plus scandaleux dans les républiques américaines, où les fortunes milliardaires se forment de nos jours avec l’aide et par l’instrument de