Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/132

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dans les salles de classe, où nous avions coutume de passer une heure le matin avant la classe à préparer nos leçons. Nous nous considérions comme étant là sous la garde de nos professeurs et nous étions heureux d’échapper ainsi à nos chefs militaires. Nous étions froissés par cette intrusion du capitaine, et un jour j’exprimai hautement notre mécontentement en disant que c’était là la place de l’inspecteur des classes et non la sienne. Cet excès de franchise me coûta plusieurs semaines d’arrêt, et peut-être aurais-je été expulsé de l’école si l’inspecteur des classes, son adjoint et même notre vieux directeur, n’avaient jugé qu’après tout j’avais simplement exprimé tout haut ce qu’ils pensaient tous eux-mêmes.

Ces incidents étaient à peine passés que la mort de l’impératrice douairière, — la veuve de Nicolas Ier, — vint interrompre de nouveau notre travail.

Lors des obsèques des têtes couronnées on essaye toujours de produire une profonde impression sur les foules, et il faut avouer que ce but est atteint. Le corps de l’Impératrice fut amené à Tsarkoïé Selo, où elle était morte, à Pétersbourg. Puis, suivi de la famille impériale, de tous les hauts dignitaires de l’État, et de milliers de fonctionnaires et de corporations, et précédé de centaines d’ecclésiastiques et de chantres, il fut conduit de la gare, à travers les principales rues, à la forteresse où il devait reposer plusieurs semaines sur un lit de parade. Cent mille hommes de la Garde faisaient la haie dans les rues, et des milliers de personnes, vêtues des plus superbes uniformes, précédaient, accompagnaient et suivaient le char mortuaire en une procession solennelle.

Aux principaux carrefours on chantait des litanies ; et les sonneries des cloches des églises, les voix des chœurs innombrables, les musiques militaires, tout cet appareil imposant faisait croire au peuple que des foules immenses pleuraient réellement la perte de l’Impératrice.