Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/164

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inconvénient : j’avais toujours trouvé ennuyeux de traverser d’un pas lent nos chambres vingt fois par jour, aussi avais-je pris l’habitude de parcourir cette distance en courant, ce qui était sévèrement défendu. Et maintenant il me faudrait marcher d’un pas solennel, le livre de service sous le bras, au lieu de courir ! Quelques-uns de mes amis tinrent conseil sur cette grave question, et il fut décidé que de temps en temps je pourrais encore me permettre de traverser les salles en courant. Quant à mes relations avec tous les camarades, il ne dépendait que de moi de les établir sur un pied fraternel, et c’est ce que je fis.

Les pages de chambre devaient aller souvent au palais, aux grands et aux petits levers, aux bals, aux réceptions, aux dîners de gala, etc. Pendant les semaines de Noël, du nouvel an et de Pâques, nous étions convoqués au palais presque tous les jours, et parfois deux fois par jour. En qualité de sergent, je devais aussi signaler à l’empereur, tous les dimanches, pendant la revue à l’école d’équitation, que « tout allait bien à la compagnie du corps des pages », même lorsqu’un tiers de l’école était atteint de quelque maladie contagieuse. En pareille occasion je demandai un jour au colonel : « Ne dois-je pas dire aujourd’hui que tout ne va pas bien ? » « Dieu vous en garde, s’écria-t-il avec terreur, vous ne devriez dire cela que s’il y avait une insurrection ! »

La vie de cour offre certainement un aspect pittoresque. Avec ses manières élégantes — encore que ce raffinement ne soit que superficiel — avec son étiquette stricte, et son brillant entourage, elle est certainement destinée à faire impression. Un grand lever est un beau spectacle, et même la simple réception de quelques dames par l’impératrice prend un caractère tout différent d’une visite ordinaire quand elle a lieu dans un salon du palais richement décoré — les invités introduits par des chambellans aux uniformes brodés d’or, l’impératrice suivie de pages richement vêtus et de dames d’honneur. Tout s’accomplit avec une solennité impressionnante.