Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/191

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présentés. Mon uniforme, plus que modeste, avec son pantalon gris qui tirait l’œil, était l’objet de l’attention générale, et à tout moment j’avais à satisfaire la curiosité des officiers de tout rang qui venaient me demander quel uniforme je portais là. Les Cosaques de l’Amour étant alors le dernier créé des régiments de l’armée russe, j’étais présent au dernier rang des centaines d’officiers présents. Alexandre II vint à moi et me dit : « Alors, tu vas en Sibérie ? Ton père y a-t-il consenti à la fin ? » Je répondis affirmativement. « N’as-tu pas peur d’aller aussi loin ? » Je répondis avec chaleur : « Non, je veux travailler. Il doit y avoir tant à faire en Sibérie pour appliquer les grandes réformes qui se préparent. » Il me regarda dans les yeux et devint pensif. Enfin il me dit : « Bon, va. On peut être utile partout, » et sa figure prit une telle expression de fatigue, un air de découragement si complet, que je me dis : « C’est un homme usé, prêt à tout lâcher. »

Pétersbourg avait un aspect morne. Des détachements de soldats parcouraient les rues. Des patrouilles de cosaques circulaient autour du palais. La forteresse était pleine de prisonniers. Partout où j’allais je voyais la même chose : le triomphe de la réaction. Je quittai Pétersbourg sans regret.

Tous les jours j’allais à la direction des régiments de cosaques pour prier les bureaux de faire diligence et de me délivrer mes papiers, et dès que tout fut prêt, je partis immédiatement pour rejoindre mon frère Alexandre à Moscou.


FIN DE LA DEUXIÈME PARTIE