Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/233

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qui finit par déclarer qu’il ne nous laisserait pas continuer notre voyage.

« Assez parlé », dis-je à l’ancien ; « donne l’ordre de seller les chevaux. » Les Cosaques étaient du même avis et quelques instants après notre caravane partait. Nous dîmes adieu au vieux fonctionnaire et nous lui promîmes de déclarer que, sans recourir toutefois à la violence — ce qu’il était incapable de faire — il avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour nous empêcher d’entrer en Mandchourie et que c’était par conséquent de notre faute si nous y étions quand même.

Quelques jours après nous étions à Merghen, où nous fîmes un peu de commerce, et bientôt nous atteignîmes la ville chinoise d’Aïgoun sur la rive droite de l’Amour et la ville russe de Blagovéchtchensk sur la rive gauche. Nous avions découvert la route directe et beaucoup d’autres faits intéressants : le caractère de chaîne bordière du Grand-Khingan, la facilité avec laquelle on peut la franchir, ces volcans tertiaires de la région de l’Ouioun Kholdontsi, qui, pendant si longtemps ont été une énigme dans la littérature géographique, et diverses autres choses. Je ne puis dire que je fus un bon marchand, car, à Merghen, je persistai à demander en un mauvais chinois trente-cinq roubles pour une montre quand l’acheteur chinois m’en avait déjà offert quarante-cinq ; mais les cosaques firent de très bonnes affaires. Ils vendirent très bien leurs chevaux, et lorsque mes chevaux, mes marchandises, et tout le reste eurent été vendus par les Cosaques, on trouva que l’expédition avait coûté au gouvernement la modeste somme de vingt-deux roubles — soit un peu plus de cinquante francs.

* * *

Tout cet été-là, je voyageai dans le bassin de l’Amour. J’allai jusqu’à son embouchure, ou plutôt son estuaire, à Nikolaïevsk, rejoindre le gouverneur-général, avec qui je remontai ensuite l’Ousouri sur un vapeur. Et, plus tard, durant l’automne, je fis un voyage encore plus intéressant : je remontai le Soungari, jusqu’au cœur