Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/235

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cabines. L’un de nous devait dormir sur une table, et quand nous partîmes, nous vîmes qu’il n’y avait même pas assez de couteaux et de fourchettes pour nous tous. Et je ne parle pas des autres choses indispensables. L’un de nous avait recours à son canif quand nous prenions nos repas, et mon couteau chinois avec ses deux bâtonnets fut un complément bienvenu à notre équipement.

Ce n’était pas une tâche aisée de remonter le Soungari. La grande rivière, dans son cours inférieur, où elle coule à travers les mêmes basses terres que l’Amour, est très peu profonde, et bien que notre vapeur n’eût que trois pieds de tirant d’eau, souvent nous ne pouvions trouver un chenal pour passer. Certains jours nous n’avancions que de quinze ou seize lieues et nous raclions souvent avec notre quille le fond sablonneux de la rivière. A chaque instant, nous envoyions un canot pour découvrir des endroits ayant la profondeur suffisante. Mais notre jeune capitaine s’était mis en tête d’atteindre Ghirine cet automne-là, et chaque jour nous faisions quelque progrès. A mesure que nous avancions nous trouvions la rivière de plus en plus belle et de plus en plus navigable ; et lorsque nous eûmes passé les déserts sablonneux qui s’étendent à son confluent avec sa sœur, la rivière Nonni, la navigation devint facile et agréable. En quelques semaines, nous eûmes atteint la capitale de cette province de la Mandchourie. Une excellente carte de la rivière fut faite par les topographes.

Malheureusement il n’y avait pas de temps à perdre, aussi nous ne pouvions que très rarement descendre dans un village ou une ville. Les villages sont peu nombreux et distants les uns des autres sur les bords de cette rivière, et, dans son cours inférieur, nous ne trouvâmes que des terrains bas qui sont inondés tous les ans. Plus en amont, nous navigâmes pendant quarante lieues au milieu des dunes de sable. Ce ne fut que lorsque nous atteignîmes le haut Soungari et que nous approchâmes de Ghirine que nous trouvâmes une population assez dense.