Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/244

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à ce procès, prenant sur les débats des notes détaillées que j’envoyai à un journal de Pétersbourg et qui furent publiées in-extenso au grand mécontentement du gouverneur-général.

Onze mille Polonais, hommes et femmes, avaient été transportés dans la Sibérie orientale à la suite de l’insurrection de 1863. La plupart étaient des étudiants, des artistes, d’anciens officiers, mais surtout d’habiles artisans, de cette population d’ouvriers si distinguée de Varsovie et d’autres villes. Un grand nombre d’entre eux étaient aux travaux forcés, tandis que les autres avaient été établis dans des villages de toute la région où ils ne pouvaient trouver de travail et où ils mouraient presque de faim. Ceux qui étaient condamnés aux travaux forcés étaient employés ou bien à Tchita à construire des barques pour l’Amour, — c’étaient les plus heureux — ou bien dans les salines impériales. Je vis quelques-uns de ceux-ci, demi-nus dans une cabane, autour d’un immense chaudron plein d’une saumure épaisse et bouillante qu’ils remuaient à l’aide de longues pelles, par une température infernale, et les portes de la cabane étaient grandes ouvertes, ce qui produisait un courant d’air glacial. Après deux ans de ce travail, ces martyrs étaient sûrs de mourir phtisiques.

Plus tard on employa un grand nombre de déportés polonais comme terrassiers, à la construction d’une route longeant la côte méridionale du lac Baïkal. Ce lac étroit, mais long de 160 lieues, entouré de magnifiques montagnes se dressant à 3000 et même à 5000 pieds au-dessus de son niveau, sépare Irkoutsk de la Transbaïkalie et de l’Amour. En hiver on peut le traverser sur la glace et en été il y a un service de vapeurs, mais pendant six semaines, au printemps, et pendant six semaines, à l’automne, le seul moyen d’aller d’Irkoutsk à Tchita et à Kiakhta (sur la route de Pékin) c’était de suivre à cheval une longue route sinueuse qui franchissait les montagnes à sept mille pieds d’altitude. Je suivis une fois cette route ; j’admirai, il est vrai, le pittoresque