Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/254

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pas écrire — semblable en cela à beaucoup de Russes. Lorsqu’il avait fait une communication orale à une séance de la Société, on ne pouvait le décider à la rédiger : tout au plus, revoyait-il les comptes rendus de sa communication, de sorte que tout ce qui a été publié sous sa signature est loin de donner une idée exacte de la valeur réelle des observations et des théories qu’il a faites. Cette répugnance à consigner par écrit les résultats de la réflexion et de l’observation est par malheur chose trop fréquente en Russie. Les remarques que je l’ai entendu exposer sur l’orographie du Turkestan, sur la distribution géographique des plantes et des animaux et particulièrement sur le rôle joué par les hybrides dans la production de nouvelles espèces d’oiseaux, et la note sur l’importance de l’aide mutuelle dans le développement progressif des espèces, que je vis plus tard mentionnée en quelques lignes dans un compte-rendu de séance, portent le cachet d’un talent et d’une originalité au-dessus de l’ordinaire. Mais il ne possédait pas dans l’expression de sa pensée cette force exubérante qui la revêt d’une forme belle, et qui aurait fait de lui un des hommes de science les plus éminents de notre temps.

Mikloukho Maklaï, bien connu en Australie — vers la fin de sa vie ce pays devint sa patrie d’adoption — appartenait à la même classe d’hommes : à ces hommes qui auraient eu bien autre chose à faire connaître que ce qu’ils ont fait imprimer. C’était un homme chétif, nerveux, souffrant toujours de la malaria. Il revenait des côtes de la Mer Rouge, lorsque je fis sa connaissance. Disciple de Hæckel, il s’était beaucoup occupé des invertébrés marins et des milieux où ils vivent. La Société de Géographie réussit bientôt à le faire envoyer à bord d’un navire de guerre russe, sur une partie inconnue de la côte de la Nouvelle-Guinée, où il désirait étudier les sauvages les plus primitifs. Accompagné d’un seul matelot, il fut déposé sur ce rivage inhospitalier dont les habitants avaient la réputation d’être cannibales. On construisit une hutte pour les deux Robinsons