Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/259

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la marine russe, le baron Schilling, dans un travail excellent mais peu connu sur les courants de l’Océan Arctique. Lorsque j’eus lu ce travail, ainsi que le « Voyage à la Nouvelle-Zemble » de Lütke, et étudié les conditions générales de cette partie de l’Océan Arctique, je compris immédiatement que l’hypothèse devait répondre à la réalité. Il devait y avoir une terre au nord-ouest de la Nouvelle-Zemble et elle devait s’étendre jusqu’à une latitude plus élevée que le Spitzberg. L’immobilité de la glace à l’ouest de la Nouvelle-Zemble, la boue et les pierres dont elle est couverte, et différents autres indices moins importants confirmaient l’hypothèse. D’autre part, si une terre n’était pas située en cet endroit, le courant de glace qui se dirige vers l’ouest, du méridien du détroit de Behring au Groenland (le courant de dérive du Fram) atteindrait, comme l’avait justement remarqué Schilling, le cap Nord et couvrirait les côtes de Laponie de masses de glace, tout comme il en couvre l’extrémité septentrionale du Groenland. Le courant de température plus élevé, — faible continuation du Gulf Stream — n’aurait pu à lui seul empêcher l’accumulation des glaces sur les côtes de l’Europe septentrionale. Cette terre, comme on sait, fut découverte quelques années plus tard par l’expédition autrichienne, dont elle reçut le nom de Terre François-Joseph.

Ce rapport sur les questions arctiques eut un résultat tout à fait inattendu pour moi. On m’offrit la direction d’une expédition de reconnaissance, à bord d’un schooner norvégien affrété dans ce but. Je répondis naturellement que je n’avais jamais été en mer ; mais on me dit qu’en combinant l’expérience d’un Carlsen ou d’un Johansen avec l’initiative d’un homme de science, on pourrait espérer d’excellents résultats ; et il m’aurait fallu accepter si le Ministère des Finances n’était alors intervenu en opposant son veto. Il répondait que le Trésor ne pouvait accorder les soixante-quinze mille ou cent mille francs requis pour mener à bien cette expédition. Depuis