Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/263

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

devient de plus en plus élevé à mesure qu’il réussit à améliorer le sol ? Il ronge son biscuit de farine de seigle, dur comme pierre, qu’il cuit deux fois l’an. Avec ce pain, il mange un morceau de morue terriblement salée et boit du lait écrémé. Comment oserais-je lui parler de machines américaines quand tout ce qu’il peut produire, il le vend pour payer sa ferme et ses impôts ? Ce dont il a besoin, c’est que je vive avec lui, pour l’aider à devenir le propriétaire ou le libre possesseur de cette terre. Alors il lira des livres avec profit, mais non maintenant. »

Et ma pensée allait de la Finlande à nos paysans de Nikolskoïé, que j’avais vu récemment. Maintenant ils sont libres et prisent beaucoup la liberté. Mais ils n’ont pas de prairies. D’une façon ou de l’autre, les seigneurs ont gardé pour eux à peu près toutes les prairies. Dans mon enfance, les Savokhines menaient six chevaux à paître la nuit et les Tolkatchovs en avaient sept. Maintenant ces familles n’avaient plus que trois chevaux chacune ; d’autres familles qui autrefois avaient trois chevaux n’en avaient plus qu’un ou même n’en avaient plus du tout. Pas de prairies, pas de chevaux, pas de fumier ! Comment puis-je leur parler de faire des fourrages ? Ils sont déjà ruinés — pauvres comme Job — et dans quelques années un système d’impôts insensé les aura rendu encore plus pauvres. Comme ils furent heureux, quand je leur dis que mon père leur permettait de faucher l’herbe dans les petites clairières de sa forêt de Kostino ! « Vos paysans de Nikolskoïé sont acharnés à l’ouvrage, » disait-on communément dans notre voisinage ; mais la terre arable que notre belle-mère avait prélevée sur leurs lots en vertu de la « loi du minimum » — clause diabolique introduite par les propriétaires de serfs quand on leur permit de réviser la loi sur l’émancipation — cette terre arable est maintenant une forêt de chardons, et les « acharnés » travailleurs ne sont pas autorisés à la cultiver. C’est ce qui a lieu dans toute la Russie. Même à cette époque il était évident, et les commissaires