Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/288

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plus hautes, se tenaient rigoureusement à l’écart de toute agitation politique ; mais elles ne commirent jamais la faute d’oublier que leurs principales forces résidaient dans la masse des femmes plus jeunes, dont un grand nombre se joignit finalement aux cercles radicaux et révolutionnaires. Ces chefs du mouvement étaient la correction même — je les trouvais même trop correctes — mais elles ne rompirent jamais avec les étudiantes plus jeunes qui, en leur qualité de parfaites nihilistes, portaient les cheveux courts, dédaignaient la crinoline et manifestaient dans leur tenue et leur conduite leur esprit démocratique. Celles qui dirigeaient le mouvement ne se mêlaient pas à elles, et il y eut parfois des froissements, mais elles ne renièrent jamais les autres, et c’était, à mon avis, un fait très important en ces temps de persécution acharnée.

Elles semblaient dire à celles qui étaient plus jeunes et plus démocrates : « Nous continuerons à porter nos habits de velours et nos chignons, parce que nous avons affaire à des fous qui voient dans une robe de velours et un chignon des gages « de confiance politique » ; mais vous autres, jeunes filles, vous êtes libres de suivre vos goûts et vos inclinations. » Quand les étudiantes russes de Zurich reçurent du gouvernement l’ordre de rentrer en Russie, ces dames correctes ne se tournèrent pas contre les rebelles. Elles dirent simplement au gouvernement : « Cela ne vous convient pas ? Eh bien, alors, ouvrez des universités de femmes en Russie ; sinon nos filles iront à l’étranger en plus grand nombre, et, naturellement, elles entreront en relation avec les réfugiés politiques. » Quand on leur reprochait de ne former que des révolutionnaires et qu’on les menaçait de fermer leur académie et leurs universités, elles répliquaient : « Oui, beaucoup d’étudiants deviennent des révolutionnaires, mais est-ce une raison pour fermer toutes les universités ? » Combien peu de chefs politiques ont le courage de ne pas se tourner contre les membres plus avancés de leur propre parti !