Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/297

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appelés à s’unir « sans distinction de religion, de sexe, de nationalité, de race ou de couleur, » pour proclamer que « l’émancipation des travailleurs devait être l’œuvre des travailleurs », et consacrer tout l’effort d’une organisation internationale, forte et unie, à l’évolution de l’humanité, — non pas au nom de l’amour et de la charité, mais au nom de la justice et de la force que possède une société d’hommes unie par la conscience raisonnée de ses aspirations et de son but.

Deux grèves qui éclatèrent à Paris en 1868 et en 1869, plus ou moins soutenue par les maigres subsides envoyés de l’étranger et principalement d’Angleterre, furent, il est vrai, assez insignifiantes en elles-mêmes, mais par suite des persécutions dirigées par le gouvernement impérial contre l’Internationale, elles devinrent l’origine d’un immense mouvement, où fut proclamée la solidarité des travailleurs de tous les pays en face de la rivalité des États. L’idée d’une union internationale de tous les corps de métier et d’une lutte contre le Capital à l’aide d’un appui international, entraîna les travailleurs les plus indifférents. Le mouvement s’étendit comme une traînée de poudre sur la France, la Belgique, l’Italie et l’Espagne. Il mit en relief un grand nombre de travailleurs intelligents, actifs et dévoués, et il attira même un certain nombre d’hommes et de femmes tout à fait supérieurs, appartenant aux classes riches et cultivées. Une puissance que l’on ne soupçonnait pas jusqu’alors, s’affirma de jour en jour grandissante, en Europe ; et si le mouvement n’avait pas été arrêté dans son développement par la guerre franco-allemande, de grandes choses se seraient probablement accomplies en Europe, modifiant profondément l’aspect de notre civilisation et accélérant indubitablement le progrès de l’humanité. Malheureusement la victoire écrasante des Allemands détermina en Europe une situation anormale, elle arrêta pour un quart de siècle le développement régulier de la France et pour l’Europe entière s’ouvrit une ère de militarisme où nous nous débattons encore en ce moment.