Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/332

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tout Pétersbourg à pied, et allait dans quelque faubourg éloigné pour obtenir une bourse dans un collège en faveur d’un enfant auquel s’intéressait les camarades. C’était certainement un homme très bien doué. Dans l’Europe occidentale un homme de moindre valeur aurait réussi à devenir un chef de parti politique ou socialiste. Jamais pareille pensée ne vint à l’esprit de Kelnitz. Il n’eut jamais l’ambition de diriger des hommes et il n’y avait pas de travail, si insignifiant fût-il, qu’il ne fît. Il faut dire aussi que ce trait de caractère ne lui était pas particulier ; tous ceux qui avaient vécu quelques années dans les millieux d’étudiants de cette époque le possédaient à un haut degré.

Bientôt après mon retour, Kelnitz m’invita à faire partie du cercle qui était connu de la jeunesse sous le nom de « Cercle de Tchaïkovsky ». C’est sous ce nom qu’il a joué un rôle important dans l’histoire du mouvement social en Russie et c’est sous ce nom qu’il passera à la postérité. « Ses membres, me dit Kelnitz, ont été jusqu’ici pour la plupart constitutionnalistes ; mais ce sont d’excellents hommes, ouverts à toute idée honnête ; ils ont de nombreux amis dans toute la Russie et vous verrez plus tard ce que vous pouvez en tirer. » Je connaissais déjà Tchaïkovsky et quelques autres membres de ce cercle. Tchaïkovsky avait gagné mon cœur à notre première rencontre et notre amitié est restée inébranlable depuis, pendant vingt-sept ans.

Au début, ce cercle ne comprenait qu’un très petit groupe de jeunes gens et de jeunes femmes — l’une d’elles était Sophie Pérovskaya — qui s’étaient unis pour travailler à leur éducation et à leur instruction mutuelle. Tchaïkovsky en faisait partie. En 1869, Nétchaïev avait essayé de fonder une société secrète révolutionnaire parmi la jeunesse désireuse, comme je l’ai dit plus haut, de travailler au milieu des gens du peuple ; et pour parvenir à son but il employait les procédés des anciens conspirateurs, ne reculant même pas devant un mensonge quand il voulait forcer ses associés à lui obéir. De