Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/362

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rencontrions chaque soir dans différents quartiers de la ville, et comme nous ne portions jamais sur nous des adresses et des noms par écrit — seule la liste chiffrée des contrebandiers était déposée en lieu sûr — nous étions forcés d’apprendre de mémoire à nos nouveaux membres des centaines de noms et d’adresses et une douzaine de chiffres, les leur répétant à plusieurs reprises, jusqu’à ce que nos amis les sussent par cœur. Chaque soir nous parcourions toute la carte de Russie, nous arrêtant surtout à la frontière occidentale, où demeuraient un grand nombre d’hommes et de femmes chargés de recevoir les livres des mains des contrebandiers, et aux provinces de l’est, où se trouvaient nos principaux foyers de propagande.

Ensuite il fallait présenter, toujours sous des déguisements, les nouveaux membres à nos amis de la ville et les mettre en relations avec ceux qui n’avaient pas encore été arrêtés.

La difficulté, alors, était de disparaître de son logement et de reparaître ailleurs sous un nom supposé, avec un faux passeport en règle. Serdioukov avait abandonné son appartement, mais n’ayant pas de passeport, il se cachait dans des maisons amies. J’aurais dû faire de même, mais une circonstance étrange m’en empêcha.

Je venais de terminer mon rapport sur les formations glaciaires en Finlande et en Russie et ce rapport devait être lu à une séance de la Société de Géographie. Les invitations étaient déjà lancées, mais il arriva qu’au jour fixé les deux sociétés de géologie de Pétersbourg avaient une réunion générale et elles demandèrent à la Société de Géographie d’ajourner la lecture de mon rapport à la semaine suivante. On savait que je devais présenter certaines idées sur l’extension des formations glaciaires jusque dans la Russie centrale et nos géologues, à l’exception de mon maître et ami, Friedrich Schmidt, considéraient cette opinion comme excessive et désiraient la soumettre à une discussion approfondie. Je dus donc rester encore une semaine.