Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/366

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Dans chaque province de Russie, dans chaque ville populeuse, et même à chaque station de chemin de fer, il y a des gendarmes qui adressent directement leurs rapports à leurs propres généraux et colonels, lesquels sont de leur côté en relation directe avec le chef de la gendarmerie ; et ce dernier, voyant l’empereur tous les jours, lui rapporte sur ce qu’il juge nécessaire de lui communiquer. Tous les fonctionnaires de l’empire sont placés sous la surveillance des gendarmes ; c’est le devoir des généraux et des colonels de surveiller la vie publique et privée de chaque sujet du tsar — même les gouverneurs des provinces les ministres et les grands-ducs. L’empereur lui-même est soumis à leur étroite surveillance, et comme ils sont parfaitement informés des potins du palais et qu’ils sont au courant du moindre pas fait par l’empereur en dehors du palais, le chef de la gendarmerie devient, pour ainsi dire, le confident des affaires les plus intimes des empereurs de Russie.

A cette époque du règne d’Alexandre II, la Troisième Section était absolument toute-puissante. Les colonels de gendarmerie faisaient des perquisitions par milliers, sans se soucier le moins du monde de l’existence du code ou de la justice russes. Ils arrêtaient qui ils voulaient, gardaient les gens en prison aussi longtemps que cela leur plaisait, et exilaient des centaines de personnes dans le nord-est de la Russie ou en Sibérie, suivant le bon plaisir du général ou le leur propre ; la signature du ministre de l’Intérieur était une simple formalité, car il n’avait sur eux aucun contrôle et ignorait même leurs agissements.

Il était quatre heures du matin quand mon interrogatoire commença.

— « Vous êtes accusé, me dit-on solennellement, d’appartenir à une société secrète qui a pour objet de renverser la forme actuelle du gouvernement, et de conspirer contre la personne sacrée de Sa Majesté Impériale. Vous reconnaissez-vous dans ce crime ?

— Tant que vous ne m’aurez pas traduit devant un tribunal