Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/396

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

militaire. J’avais une immense fenêtre grillée donnant sur le midi, qui s’ouvrait sur un étroit boulevard bordé d’arbres ; derrière le boulevard s’étendait un vaste espace, où deux cents charpentiers étaient en train de construire des baraquements en planches pour les typhiques. Tous les soirs ils consacraient une heure à chanter en chœur ; c’était un de ces chœurs comme de grands artels de charpentiers peuvent seuls en former. Sur le boulevard allait et venait une sentinelle dont la guérite se trouvait en face de ma chambre.

Ma fenêtre restait ouverte toute la journée et je me chauffais aux rayons du soleil dont j’étais privé depuis si longtemps. J’aspirais à pleins poumons l’air embaumé du mois de mai et ma santé s’améliorait rapidement, trop rapidement même, à mon gré. Je fus bientôt capable de digérer une légère nourriture, je pris des forces et je me remis au travail avec une nouvelle énergie. Ne voyant pas comment je pourrais finir le second volume de mon ouvrage, j’en écrivis un résumé qui fut imprimé à la suite du premier volume.

J’avais appris à la forteresse, par un camarade qui avait été à la prison de l’hôpital, qu’il ne me serait pas difficile de m’évader, c’est pourquoi je fis savoir à mes amis où je me trouvais. Cependant une évasion était beaucoup plus difficile que je n’avais été porté à le croire. J’étais soumis à une surveillance plus étroite que jamais. La sentinelle placée dans le corridor se tenait à ma porte et je ne sortais jamais de ma chambre. Les soldats de l’hôpital et les officiers de la garde qui y entraient semblaient craindre de s’y arrêter plus d’une minute ou deux.

Mes amis combinaient divers plans pour me délivrer, quelques-uns, entre autres, très amusants. Je devais, par exemple, limer les barreaux de fer de ma fenêtre. Puis, par une nuit pluvieuse, tandis que la sentinelle du boulevard sommeillait dans sa guérite, deux de mes amis devaient se glisser par derrière et renverser la guérite, de façon à prendre la sentinelle dessous, comme