Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/421

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crime ; et je fus frappé un jour en voyant quelques-uns de mes compagnons de route (en troisième, bien entendu) saisis d’effroi lorsqu’ils entendirent quelques conscrits chanter le chant révolutionnaire dans une gare de chemin de fer (en mai 1878). « Est-ce qu’il est de nouveau permis de chanter la Marseillaise ? » se demandaient-ils l’un l’autre avec anxiété. La presse française ne comptait donc aucun journal socialiste. Les journaux espagnols étaient très bien rédigés, et quelques-uns des manifestes de leurs congrès contenaient d’admirables exposés du socialisme anarchiste ; mais, qui est au courant des idées des Espagnols en dehors de l’Espagne ? Quant aux journaux italiens, ils n’avaient tous qu’une existence éphémère, apparaissant, disparaissant, et réapparaissant autre part sous d’autres titres ; et bien que quelques-uns d’entre eux fussent admirables, ils ne se répandaient pas hors de l’Italie. Il en résultat que la Fédération jurassienne, avec ses journaux rédigés en Français, devint pour les pays de race latine le foyer où se maintint et se formula cet esprit révolutionnaire qui — je le répète — sauva l’Europe d’une sombre période de réaction. Ce fut aussi cette Fédération qui servit de base aux théories de l’anarchisme, formulées par Bakounine et ses amis, dans une langue qui était comprise dans toute l’Europe continentale.