Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/477

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et parlaient ; tous les éléments nécessaires à un vaste mouvement étaient là ; mais comme ils ne trouvaient pas de ces centres d’attraction, qui furent formés plus tard par les groupes socialistes, ils restaient perdus dans la foule ; ils ne se connaissaient pas les uns les autres, et ils n’avaient pas même conscience d’eux-mêmes.

Tchaïkovsky était alors à Londres, et, comme autrefois, nous nous mîmes à faire de la propagande parmi les ouvriers. Aidés de quelques ouvriers anglais, dont nous avions fait connaissance au congrès de 1881, ou que les poursuites exercées contre John Most avaient attirés dans le camp socialiste, nous allions dans les clubs radicaux, parlant de la situation en Russie, du mouvement de notre jeunesse russe vers le peuple, et du socialisme en général. Nous avions un auditoire très restreint, rarement de plus de dix personnes. Quelquefois un vieux Chartiste à barbe grise se levait dans l’auditoire et nous disait que tout ce que nous racontions avait été exprimé quarante ans auparavant et accueilli alors avec enthousiasme par la foule des ouvriers, mais que tout cela était mort désormais et qu’il n’y avait pas d’espoir de le faire revivre.

Hyndman venait de publier son excellente étude sur le socialisme de Marx, sous le titre de England for All ; et je me souviens qu’un jour de l’été de 1882, je lui conseillai sérieusement de fonder un journal socialiste. Je lui racontai avec quelles ressources modiques nous avions commencé à publier Le Révolté et je lui prédisais un succès certain, s’il voulait tenter la chose. Mais la situation générale était si pauvre de promesses que même Hyndman prévoyait un échec certain, à moins de disposer de l’argent nécessaire pour couvrir toutes les dépenses. Il avait peut-être raison ; mais lorsqu’il fonda la Justice trois années plus tard, il trouva le plus cordial appui auprès des ouvriers ; en 1886 il y avait trois journaux socialistes et la fédération social-démocratique était alors une association influente.

Pendant l’été de 1882, je parlai en mauvais anglais