Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/516

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de choses coûtent à la France et à toutes les autres nations.

* * *

Je pourrais écrire plusieurs chapitres sur ce sujet, mais je me contenterai de raconter encore l’histoire de deux aventuriers qui s’est passée à Clairvaux.

Ma femme logeait dans l’unique auberge du petit village, qui s’est formé à l’ombre des murs de la prison. Un jour, l’hôtesse entra dans sa chambre avec une lettre de deux messieurs, qui venaient d’arriver à l’hôtel et désiraient voir ma femme. L’hôtesse intercédait de toute son éloquence en leur faveur... « Oh ! je connais mon monde, disait-elle, et je puis vous assurer madame, que ce sont des messieurs d’une correction parfaite. C’est tout ce qu’il y a de plus comme il faut. L’un d’eux s’est donné pour un officier allemand, mais il est sûrement baron ou « mylord » et l’autre, est son interprète. Ils vous connaissent très bien. Le baron va partir pour l’Afrique, peut-être pour ne jamais revenir, et il désire vous voir avant son départ.

Ma femme regarda l’adresse de la lettre, qui portait : « A madame la principesse Kropotkine (sic !), » et elle n’eut pas besoin d’autre preuve pour être fixée sur ces messieurs comme il faut. Quant au contenu de la lettre, il était encore pis que l’adresse. Le « baron » y parlait contre toutes les règles de la grammaire et du sens commun d’une communication mystérieuse qu’il désirait lui faire. Elle refusa tout carrément de recevoir le baron et son interprète.

Là-dessus, le baron écrivit à ma femme lettre sur lettre, qu’elle lui renvoya sans les décacheter.

Tout le village se partagea bientôt en deux camps ; l’un, avec l’hôtelière en tête, soutenait le baron ; l’autre, dirigé par son mari, lui était hostile. Tout un roman circula dans le village. « Le baron avait connu ma femme avant son mariage. Il avait dansé plusieurs fois avec elle à l’ambassade de Russie à Vienne. Il était encore amoureux d’elle, mais elle, la cruelle, refusait