Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/522

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

mise en liberté de Louise Michel et la mienne. Mais Alexandre III s’y opposait, et un jour, le président du Conseil, M. Freycinet, répondant à une interpellation à la Chambre, dit que « des difficultés diplomatiques s’opposaient à la mise en liberté de Kropotkine ». Étranges paroles dans la bouche du premier ministre d’un pays indépendant ; mais on en a entendu de plus étranges encore depuis la conclusion de cette alliance néfaste entre la France et la Russie impériale.

Enfin, au milieu de janvier 1886, Louise Michel, Pouget et moi, ainsi que les trois camarades qui étaient encore à Clairvaux avec moi, nous fûmes remis en liberté.

Nous nous rendîmes à Paris où nous passâmes quelques semaines avec Élie Reclus, anthropologiste remarquable, qui est souvent confondu hors de France avec son frère cadet, Élisée, le géographe. Les deux frères ont été unis depuis leur enfance de la plus étroite amitié. Lorsque le moment vint pour eux de suivre les cours d’une université, ils se rendirent à pied d’un petit bourg situé dans la vallée de la Garonne à Strasbourg, accompagnés, en véritables étudiants voyageurs, de leur chien ; et quand ils s’arrêtaient dans quelque village, c’était le chien qui mangeait son écuelle de soupe, tandis que les deux frères se contentaient souvent d’un morceau de pain et de quelques pommes. De Strasbourg le cadet alla à Berlin, où il était attiré par les cours du grand Ritter. Plus tard, entre 1840 et 1850, ils se trouvaient tous les deux à Paris. Élie Reclus devint un fouriériste convaincu, et tous deux virent dans la république de 1848 l’avènement d’une ère nouvelle d’évolution sociale. Ils furent donc forcés, après le Coup d’État de Napoléon III, de quitter la France et émigrèrent en Angleterre. Lorsque l’amnistie fut votée, ils retournèrent à Paris ; Élie y publia un journal fouriériste, qui eut un grand succès dans les milieux ouvriers. Il peut être intéressant de noter ici un fait, en général assez peu connu : Napoléon III, qui jouait le rôle d’un César, et qui, ainsi qu’il convient à un César, s’intéressait à la situation des classes