Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/536

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vie parmi les animaux comme aussi parmi les hommes. J’en parlai à mes amis. Mais je m’aperçus que la « lutte pour la vie », interprétée comme un cri de guerre de « malheur aux faibles », et élevée à la hauteur d’une « loi naturelle » consacrée par la science, avait jeté en Angleterre de si profondes racines qu’elle était presque devenue un article de foi. Deux personnes seulement m’encouragèrent à m’élever contre cette fausse interprétation des faits naturels. L’éditeur du Nineteenth Century, M. James Knowles, comprit aussitôt, avec son admirable perspicacité, l’importance de la question et il m’encouragea avec une énergie vraiment juvénile à tenter la chose. L’autre était H. W. Bates, l’auteur du « Voyage dans la région de l’Amazone », dont Darwin a dit dans son autobiographie qu’il était un des hommes les plus intelligents qu’il ait rencontrés, et qui, on le sait, a travaillé pendant de longues années à recueillir les faits sur lesquels Wallace et Darwin basèrent leurs grandes généralisations. Il était secrétaire de la Société de Géographie, et je le connaissais. Quand je lui fis part de mon intention, il en fut ravi et me dit : « Oui, il faut que vous écriviez cela. C’est cela le vrai Darwinisme. C’est une honte quand on songe à ce qu’ils ont fait des idées de Darwin. Écrivez votre livre et quand vous l’aurez publié, je vous écrirai une lettre dans ce sens que vous pourrez rendre publique. » Je n’aurais pu souhaiter de meilleur encouragement et je commençai le travail qui fut publié dans le Nineteenth Century sous les titres de Mutual Aid among Animals, among Savages, among Barbarians, in the Medieval City, et among Ourselves (L’appui mutuel chez les animaux, chez les sauvages, chez les barbares, dans la vie d’une cité au moyen âge, et chez nous.) Malheureusement je négligeai de soumettre à Bates les deux premiers articles de cette série, consacrés aux animaux, qui furent publiés alors qu’il vivait encore. J’espérais avoir bientôt achevé la deuxième partie du travail, sur l’appui mutuel chez les hommes, mais il me fallut plusieurs années pour