Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/59

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des milliers d’affaires. Enfin, cinq ou six charrettes de paysans entraient dans notre cour : elles venaient prendre toutes sortes de choses qui devaient être envoyées à la maison de campagne. Le vieux carrosse et les autres voitures dans lesquelles nous devions faire le voyage étaient sortis des remises et soumis à une nouvelle inspection. On commençait à faire les malles. Nos leçons n’avançaient que lentement ; à tout moment nous interrompions nos précepteurs, leur demandant si on emporterait tel ou tel livre, et longtemps avant tous les autres nous commencions à empaqueter nos livres, nos ardoises et les jouets que nous fabriquions nous-mêmes.

Tout était prêt : les charrettes étaient lourdement chargées de meubles pour la maison de campagne, de caisses pleines d’ustensiles de cuisine, et d’un nombre presque infini de bocaux vides qui à l’automne devaient revenir remplis de toutes sortes de confitures. Les paysans attendaient tous les matins pendant des heures dans le vestibule, mais l’ordre de partir ne venait pas. Mon père continuait à écrire toute la matinée dans sa chambre, et le soir il disparaissait. Enfin notre belle-mère intervenait, sa servante s’étant risquée à lui raconter que les paysans étaient impatients de s’en retourner à cause de la fenaison qui était proche.

Dans l’après-midi du lendemain, Frol, le majordome, et Mikhael Aléïev, le premier violon, étaient appelés dans la chambre de notre père. On remettait à Frol, avec une liste, un sac contenant « l’argent pour la nourriture » — c’est-à-dire quelques sous pour chaque jour — pour les quarante ou cinquante domestiques qui accompagnaient la famille à Nikolskoïé. Sur la liste tous étaient énumérés : la fanfare au grand complet ; puis les cuisiniers et aides-cuisiniers, les blanchisseuses, l’aide-blanchisseuse qui avait le bonheur de posséder une famille de six tout petits : Polka la Louchon, Domna la Grande, Domna la Petite, etc.

Le premier violon recevait un « ordre de marche. »