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Page:Krudener - Valerie.djvu/96

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On continuoit à presser Valérie, qui se défendoit toujours et montroit sa tête, apparemment pour dire qu’elle y avoit mal. Enfin, la foule s’écoula ; on alla souper : Valérie resta ; il n’y eut plus qu’une vingtaine de personnes dans la salle. Alors je vis le comte, avec une femme couverte de diamans et de rouge, s’avancer vers Valérie ; je le vis la presser, la supplier de danser ; les hommes se mirent à ses genoux, les femmes l’entouroient ; je la vis céder ; moi-même, enfin, entraîné par le mouvement général, je m’étois mêlé aux autres pour la prier, comme si elle avoit pu m’entendre ; et, quand elle céda aux instances, je sentis un mouvement de colère. On ferma les portes pour que personne n’entrât plus dans la salle : lord Méry prit un violon ; Valérie demanda son châle d’une mousseline bleu foncé ; elle écarta ses cheveux de dessus son front ; elle mit son châle sur sa tête ; il descendit le long de ses tempes, de ses épaules ; son front se dessina à la manière antique, ses cheveux disparurent, ses paupières se baissèrent, son sourire habituel s’effaça peu à peu, sa tête s’inclina, son châle tomba mollement sur ses bras croisés sur sa poitrine ; et ce vêtement bleu, cette figure douce et pure, sembloient avoir été dessinés par le Corrège pour exprimer la tranquille résignation ; et, quand ses yeux se relevèrent, que ses lèvres essayèrent un sourire, on eût dit voir, comme Shakespeare la peignit, la Patience souriant à la Douleur auprès d’un monument.