Page:L'Écho des feuilletons - 1844.djvu/107

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main. » On ne loi répondit rien. Il reprit au bout d’un instant :

— Razira, m’aimes-tu ?

— Oui, répondit-elle simplement, sans paraître offensée de cette question.

— Veux-tu me suivre ?

— Où ?

— Sur le navire. Je pars demain. Razim resta un instant silencieuse, soit qu’elle hésitât sur ce qu’elle devait répondre, soit que la force lui manquât pour parler. Puis elle dit d’une voix à peine intelligible :

— Ma mère m’a dit : « Ma fille, quoi qu’il arrive, ne quitte jamais la vallée où tu es née pour suivre ton amant dans les pays lointains. Malheur à tui si tu as confiance dans l’homme à qui ne suffiront pas ton amour et la solitude ! » Je ferai ce qu’a dit ma mère.

— Alors, que nos destinées s’accomplissent ! Adieu, Razim.

En disant ces mots, il se dirigea lentement vers la porte. Razim le laissa faire pendant quelques instants ; mais, au moment où il allait toucher le seuil, elle se précipita au-devant de lui — Et ton enfant ! lui dit-elle en le regardant fixement.

Il détourna la tête, et répondit

— Ce sera ta faute s’il grandit loin de son père, que tu n’auras pas voulu suivre.

Elle garda un instant le silence, les yeux fixés à terre, puis elle reprit :

— Passe au moins cette nuit avec nous, puisque c’est la dernière.

— Non, répondit Maurice ; ce serait prolonger inutilement notre souffrance : il faut qu’au point du jour je me trouve à la pointe de Diamant, où le canot du navire viendra me prendre.

— Alors, pars vite ! dit fièrement la jeune femme, et je prierai Dieu qu’il n’engloutisse pas ton navire.

En même temps elle s’éloigna à grands pas, et alla se cacher dans la seconde chambre.

Maurice, au lieu de profiter du passage qu’elle venait de lui laisser libre, resta à la même place, immobile et silencieux. Puis, tout-à-coup éclatant en sanglote, il se dirigea vers la porte de la chambre où Razim s’était enfermée. Alors Mikoa, qui, toujours assis sur sa natte, avait jusque-là gardé le silence, se leva, et courant au jeune homme :

— Courage, mon fils ! lui dit-il, sois bon tout-à-fait.

Mais à sa vue, Maurice qui l’avait oublié, s’arrêta brusquement ; et, essuyant d’un geste convulsif les larmes qui inondaient son visage, il s’écria :

— Adieu ! adieu pour toujours !

Et il sortit en courant.

Maurice erra toute la nuit dans les montagnes qui avoisinent la pointe de Diamant, livré à de cruelles angoisses. La froideur qu’il a ait montrée à Razim n’élait qu’apparente : au fond de l’âme, il l’aimait tendrement, et il aurait volontiers risqué sa vie pour lui épargner u ne douleur, i Mais, d’un autne côté, il sentait un irrésistible < besoin de revoir l’Europe et de retrouver les jouissances de la civilisation ; il se trouvait emprisonné et comme étouffé dans les bornes étroites de l’île qu’il avait voulu pendant quelque temps adopter pour patrie, et il aimait mieux laisser souffrir sa maîtresse que de continuer une vie qui l’ennuyait et l’oppressait. Si Razim eût consenti à le suivre, il eût été heureux de ne pas s’en séparer ; mais il préférait la liberté sans amour à l’amour sans liberté. L’amour n’était, selon lui, qu’un des côtés de la vie, et l’on ne pouvait lui sacrifier tous les autres. Il était donc bien résolu à faire ce qu’il avait dit. Mais il n’en était pas moins livré à une terrible anxiété ; et, pendant toute sa promenade nocturne, les heures la parurent aussi longues que des journées.

Enfin, le matin arriva. Maurice descendit au rivage, et ne trouva pas le canot. Il se mit à se promener sur le sable avec impatience, s’arrêtant à chaque instant pour écouter s’il n’entendait pas le bruit des rames ; car le ciel commençait à peine à s’éclairer, et rien ne se distinguait sur la mer encore sombre. Mais il écoutait en vain : le bruit monotone des vagues interrompait seul le vaste silence de ces plages désertes.

Pourtant, une fois, il crut entendre un soupir, sans savoir d’où il venait. Il prêta de nouveau l’oreille avec plus d’attention ; mais il n’entendit plus rien. Il crut qu’il s’était trompé, et qu’il avait pris pour un soupir le bruit de la brise dans le feuillage. Il se remit à marcher, et attendit assez longtemps encore.

Enfin, comme la mer commençait à s’éclairer davantage, il aperçut à quelque distance du rivage le canot qui s’avançait à force de rames, et