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Le Lion amoureux

I


Le nom de lion, appliqué à une partie de la jeunesse française, s’est tellement vulgarisé, que je crois inutile d’entrer dans de longues explications pour le faire adopter à mes lecteurs comme signifiant autre chose que l’hôte terrible des forêts, ou l’esclave obéissant de M. Van Amburgh.

Ceci dit, nous pouvons commencer notre histoire.

C’était il y a quelques jours, à l’heure de midi ; un lion de la plus belle encolure descendit de sa voiture et entra au café de Paris. Son entrée excita un très-vif étonnement pour deux raisons majeures : la première, c’est qu’il était habillé ; la seconde, c’est qu’il demanda son déjeuner comme un homme qui est pressé et qui a quelque chose à faire.

Un de ses amis le regarda attentivement de l’œil sur lequel il ne mit pas son lorgnon, et lui dit :

— Où diable allez-vous comme ça, Sterny ?

— Je vais à un mariage.

— Qui donc se marie ? dit l’interrogateur.

Et tout aussitôt une demi-douzaine de têtes se levèrent ; on échangea des regards, on chercha au plafond, et chacun répéta en soi-même la question :

— Qui donc se marie ?

Sterny vit cette pantomime, et se hâta d’y répondre d’un ton indifférent en disant :

— Personne, messieurs, personne ; c’est une affaire particulière.

— Et à quelle heure en serez-vous débarrassé ?

— Je n’en sais rien ; mais je m’esquiverai immédiatement après l’église, quand je ne serai plus nécessaire.

— Vous êtes donc nécessaire ?

— Je suis témoin du futur.

— Témoin du futur ? répéta-t-on de tous côtés.

— Oui, reprit Sterny qui voyait l’étonnement se peindre sur tous les visages ; oui, témoin du filleul de mon père. Il m’a écrit à ce sujet une lettre qui ne me permettait pas de refuser à ce brave garçon un plaisir qu’il considère comme un