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ble ? vos compagnons n’ont-ils pas voulu m’assassiner ?

— De quels compagnons voulez-vous parler ?

— De vos amis d’Allemagne, Monsieur ; j’ai tout su, j’ai entendu leur conversation pendant qu’ils étaient à ma poursuite ; votre nom, plusieurs fois prononcé, m’a prouvé que vous étiez le chef d’une bande d’assassins.

— Que m’importe, répondit Formose avec un magnifique dédain, que des misérables se servent de mon nom pour cacher le leur ; tout ce que vous dites là sort d’un cerveau malade, vous avez fait un mauvais rêve. Prouvez que je vous ai personnellement causé le moindre dommage, comme je peux prouver, moi, pièces en main, que vous avez déshonoré votre nom et votre famille.

Tant d’assurance, d’effronterie et de perversité confondait le vicomte ; il ne savait plus en effet s’il n’était pas le jouet de quelque hallucination.

— Rendez-moi ce papier contre tout l’argent que vous voudrez, reprit le vicomte après quelques instants de silence, renoncez à vos projets sur ma cousine, et je vous promets de ne jamais prononcer un mot qui ait rapport à vous et à l’événement qui m’est arrivé.

— Le grand mot est lâché, répondit imperturbablement Formose, qui prenait de plus en plus d’assurance. Ainsi, vous avez voulu bâtir je ne sais quelle histoire ridicule, dans l’espérance de me faire renoncer à des prétentions légitimes ; vous vous êtes grossièrement trompé, Monsieur, et je vous prouverai que j’ai plus de force de caractère que vous ne l’avez pensé.

— Puisqu’il en est ainsi, s’écria le jeune de Larcy pâle de fureur, je m’en rapporte au jugement de Dieu. Je consens à me battre avec vous, avec vous, infâme et assassin.

— Assassin et faussaire, répondit Formose, ne sont pas déplacés sur le même terrain.

— Demain, Monsieur, à six heures du matin, au bois de Vincennes, dit M. de Larcy les dents serrées et le visage contracté par la colère. Au rond-point de la grande allée, j’aurai mes témoins ; amenez les vôtres, et tâchez de m’épargner la vue de vos amis, de mes assassins.

— J’y serai, Monsieur, dit Formose en s’inclinant. Quant au motif du duel, ajouta-t-il, comme vous ne seriez sans doute pas bien aise qu’on le connût, choisissez celui qui vous conviendra, et croyez que je serai assez galant homme pour ne vous contredire en rien.

— Oh ! mon Dieu, s’écria le vicomte avec l’accent du plus violent désespoir, être à la merci de cet homme !… quelle honte !

— C’est vous qui l’avez voulu, répondit doucement Formose, qui croyait voir jour à un accommodement.

— Qu’importe, reprit M. de Larcy avec feu, j’ai le bon droit pour moi ; Dieu jugera du reste. Et il s’éloigna rapidement.

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Le lendemain, à six heures du matin, une calèche traversait la grande avenue de Saint-Mandé, entrait dans le bois de Vincennes et s’arrêtait au rond-point désigné. Trois hommes en descendirent ; c’étaient Formose, M. de Pommereux et un Italien de distinction.

— Il paraît, dit Formose, que nous sommes les premiers au rendez-vous.

— Ainsi, demanda M. de Pommereux, il n’y a pas de raison apparente qui justifie votre duel ?

— Pas la moindre que je sache, répondit Formose ; M. de Larcy m’a insulté sans motif : voilà tout.

— Mais alors ce combat ne peut pas avoir lieu.

— Y pensez-vous ? dit Formose, il n’y a que les affaires vraiment sérieuses qui se dénouent d’une manière pacifique. M. de Larcy sait que j’aime sa cousine ; nous nous la disputons l’un et l’autre. Jamais il ne voudra entendre parler d’un accommodement ; tout prétexte lui sera bon. Ce ne serait qu’une partie remise.

— Quelles armes choisissez-vous ?

— Je me mets entièrement à la discrétion du vicomte à cet égard.

En ce moment une seconde voiture pénétrait dans l’allée.

— Les voilà, dit Formose.

M. de Larcy et ses deux témoins, dont l’un était un attaché d’ambassade et l’autre un capitaine d’élat-major, descendirent et saluèrent les témoins de Formose, qui se tenait à l’écart.

M. de Larcy était d’une pâleur de marbre. Les tortures affreuses que ce jeune homme éprouvait depuis douze heures avaient imprimé leurs traces sur ses traits amaigris. Ses yeux, animés par le désir de la vengeance, lançaient par intervalles des éclairs de fureur. Formose, calme, im-