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le repas de ses nouveaux amis, et parlant avec eu des choses qui les intéressaient comme lui, de l’île, de son climat et de sa végétation, des inovations présentes et surtout des coutumes passées.

Razin savait le français, comme Maurice le polynésien, et il leur était ainsi facile de s’entendre, soit entre eux, soit avec Mikoa.

Maurice, étonné, avait demandé à Razim comment il se faisait que dans cette île où on ne parlait, en fait de langues étrangères, que l’anglais, elle sût le français, et elle lui avait répondu qu’elle l’avaît appris de sa mère ; mais quand il voulut faire à ce sujet de nouvelles questions, il n’en put obtenir un seul mot. Voyant même que ses paroles semblaient rappeler à la jeune sauvage des souvenirs douloureux, il prit le parti de se taire là-dessus, et chercha à ranimer la converssation en la transportant sur un autre terrain. Mais il n’en put venir à bout : ses deux hôtes étaient tombés dans une mélancolie morne et silencieuse.

Maurice, attristé lui-même par la vue de leur tristesse et par l’inutilité de ses efforts pour les en tirer, se leva et prit congé d’eux, en les remerciant de leur bon accueil et en leur demandant la permission de revenir.

Mikoa ne répondit pas, et parut attendre que Razim décidât.

Celle-ci se leva à son tour, et s’adressant au voyageur :

— Pourquoi veux-tu revenir ? lui dit-elle.

Maurice resta un instant embarrassé de la question ; mais ensuite, charmé de la franchise qui présidait à toutes les paroles de la jeune sau** il répondit avec une sorte d’enthousiasme :

— J’ai envie de revenir parce que Mikoa est bon et que Razim est bonne et belle, et que Dieu dit de rechercher l’homme qui est bon, et d’aimer la femme qui est belle.

— Tu as bien parlé, reprit-elle en souriant doucement. Toi aussi, tu es bon et beau : tu peux revenir.

Elle lui fit un geste d’adieu et se rassit. Maurice sortit le cœur plein de joie, et se mit en marche au hasard devant lui. Agité de transports inconnus, il allait bondissant comme un jeune chevreau, s’arrêtant tout-à-coup et repartant ensuite, poussant des cris inarticulés qu’il interrompait brusquement, et les faisant suivre de longs silences.

— Oh ! jeune homme ! cria derrière lui la voix gutturale du sauvage, arrête ta coursa désordonnée. Laisse-moi te guider dans les sentiers difficiles de la montagne ; car l’esprit des songes t’a touché le front de son aile, et, livré à toi-même dans les ténèbres de la nuit, tu te précipiterais dans les abîmes où le vautour va chercher sa proie !

— Merci, répondit Maurice en rougissant, ne t’inquiète pas des folles ardeurs de ma jeunesse. Je retrouverai mon chemin. Une bonne nuit, Mikoa, et que le Dieu du ciel te donne une longue vie !

— Pas de souhaits, cher étranger, dit vivement le sauvage ; il faut connaître le cœur d’un homme avant de lui souhaiter quelque chose. Autrement, on risque de faire comme celui qui offre à son ami un fruit paré de belles couleurs, sans savoir qu’il est empoisonné.

Il resta un instant absorbé dans une rêverie mélancolique ; puis il ajouta, en relevant sa tête qu’il avait abaissée sur sa poitrine :

— Suis-moi ; l’hospitalité m’ordonne de ne pas te quitter avant que je t’aie vu t’asseoir dans ta case, à l’abri de tout danger. Viens par ici.

Il fit prendre à Maurice un chemin que celui-ci ne connaissait pas, et, le devançant d’un pas rapide, il le guida vers le sommet de la montagne. Tout en marchant, le jeune homme se demandait pourquoi il avait été si ému à son départ de la cabane.

— Aimerais-je cette jeune femme ? Allons donc ! moi qui ai tant usé, abusé et ri de l’amour, j’aimerais ? et qui ? une sauvage qui n’est peut-être jamais sortie de sa vallée, qui ne sait rien, ne comprendrait rien, et n’est bonne qui lier une gerbe ou à raccommoder un filet ! Il est vrai qu’elle est belle, certainement elle est très belle ; mais on sait ce que vaut la beauté, quelques pièces d’or en Europe et de monnaie en Océanie. Demain, j’apporterai des oripeaux à cette jeune fille, dont ma folle imagination a fait une prêtresse du désert, et le diable m’en voudra bien s’il m’empêche de me passer cette fantaisie.

Au moment où il achevait ce beau monologue, il arrivait avec son guide au sommet du chemin.

Depuis quelque temps déjà la nuit était tombée, et, sans la complaisance de Mikoa, Maurice se