Page:L'âme russe, contes choisis, trad Golschmann et Jaubert, 1896.djvu/105

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l’aime, et voilà, elle offre à celui qui le ramènera cent roubles. Il faut avouer, tels que nous sommes là, que les goûts des gens sont tout à fait disproportionnés avec leur objet : si l’on est amateur, eh bien, qu’on ait un chien couchant ou un barbet, qu’on ne craigne pas de le payer cinq cents roubles, qu’on en donne même mille, mais que ce soit au moins un bon chien.

L’honorable fonctionnaire écoutait avec un air entendu, tout en calculant le nombre des lettres renfermées dans le billet. De chaque côté de la table se tenait une foule de bonnes femmes, de commis et de portiers, avec des billets à la main. L’un annonçait la vente d’une calèche n’ayant servi que très peu de temps, amenée de Paris en 1814 ; un autre, celle d’un « drojki[1] » solide, auquel manquait un ressort ; on vendait aussi un jeune cheval fougueux de dix-sept ans, et ainsi de suite. La pièce où était réunie cette société était très petite et l’air y était très lourd, mais l’assesseur de collège ne pouvait pas sentir l’odeur, puisqu’il avait couvert sa figure d’un mouchoir et aussi parce que son nez lui-même se trouvait on ne savait dans quels parages.

– Monsieur, je voudrais vous prier… Il y a urgence, fit-il enfin, impatienté.

– Tout de suite, tout de suite ! Deux roubles quarante-trois kopecks… À l’instant ! Un rouble soixante-quatre kopecks !… disait le monsieur aux cheveux blancs, en jetant les billets au visage des bonnes femmes et des portiers.

– Que désirez-vous, fit-il enfin en se tournant vers Kovaliov.

  1. Espèce de voiture.