Page:L'âme russe, contes choisis, trad Golschmann et Jaubert, 1896.djvu/111

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contre les officiers subalternes, mais en aucune manière contre les officiers supérieurs. L’accueil du commissaire l’avait tellement froissé, qu’il releva fièrement la tête, écarta les bras, et déclara avec dignité :

– J’avoue qu’après des observations aussi blessantes de votre part, je n’ai plus rien à vous dire.

Et il sortit.

Il revint chez lui, accablé de fatigue. Il faisait déjà sombre. Triste et même laid lui parut son appartement après toutes ses recherches infructueuses. En pénétrant dans l’antichambre, il aperçut sur le vieux canapé en cuir son valet Ivan qui, commodément étendu sur le dos, s’occupait à lancer des crachats au plafond et, avec beaucoup d’adresse, touchait toujours au même endroit. Cette indifférence de son domestique le rendit furieux ; il lui donna un coup de son chapeau sur le front en disant :

– Toi, vaurien, tu ne fais jamais que des sottises.

Ivan se leva brusquement et s’élança vers son maître pour lui retirer son manteau.

Une fois dans sa chambre, le major, fatigué et triste, se jeta dans un fauteuil et finalement, après avoir poussé quelques soupirs, se mit à dire :

– Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi ce malheur m’accable-t-il ? Si c’était un bras ou une jambe qui me manquent, ce serait moins insupportable, mais un homme sans nez, cela ne vaut pas le diable ; qu’est-il donc ? Ni oiseau, ni citoyen ; il n’est bon qu’à se jeter par la fenêtre. Si c’était du moins à la guerre ou en duel qu’on me l’eût enlevé, ou si je l’avais perdu