Page:L'âme russe, contes choisis, trad Golschmann et Jaubert, 1896.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

action irréfléchie ; mais ce n’est point ainsi que nos relations devaient s’établir. Je vous renvoie votre lettre, et j’espère que je n’aurai plus dorénavant à me plaindre d’une offense imméritée. »

Le lendemain, dès qu’elle eut aperçu Hermann, Lisaveta Ivanovna se leva de son métier, alla ouvrir le vasistas et jeta la lettre dans la rue, se fiant à l’adresse du jeune officier. Hermann courut la ramasser, et entra chez un confiseur. En brisant le cachet, il trouva sa lettre et la réponse de Lisaveta Ivanovna. C’était plus qu’il n’en espérait, et il revint chez lui très absorbé par son intrigue.

Trois jours après, une très jeune et très délurée demoiselle apportait à Lisaveta Ivanovna un billet du magasin de modes. Elle l’ouvrit avec inquiétude, prévoyant une demande d’argent ; tout à coup, elle reconnut l’écriture d’Hermann.

— Vous vous trompez, ma chère, dit-elle ; ce billet n’est pas pour moi.

— Pardon, il est bien pour vous ! répondit l’effrontée sans dissimuler un sourire rusé. Voulez-vous lire ?

Lisaveta Ivanovna parcourut le billet. Hermann lui demandait un rendez-vous.

— Impossible ! dit-elle, non moins effrayée de la promptitude de la demande que du moyen employé, cela n’est pas écrit pour moi.

Et elle déchira la lettre en mille morceaux.

— Si la lettre n’était pas pour vous, pourquoi l'avez-vous déchirée ? fit observer la demoiselle ; moi, je l’aurais rendue à celui qui l’a envoyée.