Page:L'âme russe, contes choisis, trad Golschmann et Jaubert, 1896.djvu/299

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n que nous, peut-être mieux. Ils accomplissent leur devoir, eux qui abandonneraient tout et s’en iraient aussitôt, si on le leur permettait.

... Une piquante brise matinale se fit sentir. Les buissons s’agitèrent, un petit oiseau à moitié endormi s’envola. Les étoiles s’éteignirent. Le ciel bleu foncé devint gris, se couvrit de gracieux et légers nuages plumeux. Une demi-obscurité planait sur la terre. C’était l’aurore de la troisième journée de ma... comment l’appellerai-je ? La vie ? L’agonie ?

La troisième... Combien m’en reste-t-il encore ?En tout cas, pas beaucoup. Je suis très affaibli et il me semble que je ne pourrai m’éloigner du cadavre. Bientôt nous nous vaudrons, et nous ne nous gênerons plus l’un l’autre.

... Il faut que je me désaltère. Je boirai trois fois par jour : le malin, h midi et le soir.

Le soleil s’est levé. Son énorme disque, tout strié et divisé par les brandies noires des buissons, est rouge comme du sang. Je croîs qu’il fera chaud aujourd’hui. Mon voisin, que deviendras-tu ? Maintenant déjà, tu es horrible.

Oui, il était horrible. Ses cheveux commençaient à tomber. Sa peau, autrefois noire, était devenue pâle et jaune ; son visage enflé était tellement tendu, que la peau avait crevé derrière l’oreille. Des vers y pullulaient. Ses pieds, serrés dans des bottines, avaient gonflé et, entre les crochets des bottines, d’énormes ampoules s’étaient produites. Et tout son corps était énormément tuméfié. Qu’en ferait le soleil tout à l’heure ?

... Il m’est insupportable d’être couché si près de lui. Je dois m’en éloigner coûte que coûte. Mais y parviendrai-je ?