Page:L'âme russe, contes choisis, trad Golschmann et Jaubert, 1896.djvu/88

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— Praskovia Ossipovna, lui dit Ivan Iakovlievitch, je ne prendrai pas de café aujourd’hui, parce que j’aime mieux déjeuner avec du pain chaud et de l’oignon (c’est-à-dire qu’Ivan Iakovlievitch aurait préféré l’un et l’autre, mais il savait qu’il lui était absolument impossible de demander deux choses à la fois, Praskovia Ossipovna ne tolérant jamais semblables fantaisies).

« Qu’il mange du pain, l’imbécile, se dit en elle-même la digne matrone, ce n’en est que mieux pour moi, j’aurai un peu plus de café. »

Et elle jeta un pain sur la table.

Ivan Iakovlievitch, par respect pour les convenances, endossa un vêtement par-dessus sa chemise et, ayant pris place à table, posa devant lui deux oignons et du sel ; puis, s’emparant d’un couteau, il se mit en devoir de couper le pain. L’ayant divisé en deux, il jeta un regard dans l’intérieur et aperçut avec surprise quelque chose de blanc. Il y plongea avec précaution le couteau, y enfonça un doigt :

« C’est solide ! fit-il à part soi, qu’est-ce que cela pourrait bien être ? »

Il enfonça encore une fois les doigts et en retira… un nez !…

Les bras lui en tombèrent, il se mit à se frotter les yeux, à le tâter : c’était en effet un nez et au surplus, lui semblait-il, un nez connu. La terreur se peignit sur la figure d’Ivan Iakovlievitch. Mais cette terreur n’était rien en comparaison de l’indignation qui s’empara de son épouse.

— À qui, bête féroce, as-tu coupé le nez comme cela ? s’écria-t-elle avec colère : coquin, ivrogne, je te dénoncerai