Page:L'Art pendant la guerre 1914-1918.djvu/128

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quelque chose qui dépasse le droit individuel ou même collectif d’une nation, — je dirai : d’une génération entière. Nous sommes tous sur ce globe comme les passagers d’une barque naufragée, qui n’ont pu sauver qu’un petit trésor. Le monde n’a pas trop de beauté pour ne pas la mettre toute en commun. Le peuple qui en a créé un atome n’a pas le droit de le détruire, non plus qu’un père son enfant : à plus forte raison, un peuple étranger.

On l’a fait dans le passé, c’est vrai. On a détruit des églises, brûlé des bibliothèques, rasé des palais à peine construits, effondré des fresques à peine peintes, fondu des cloches et des bronzes d’art. Alphonse d’Este a fait un canon d’une statue de Michel-Ange. D’innombrables marbres grecs ont servi de mortier. Dans la région même de ces ruines : Ypres, Arras, Nieuport, et aussi dans les pays wallons, le xive siècle, le xve et le xvie siècles ont connu de semblables spectacles. Tantôt par vengeance de prince, tantôt par fanatisme de foules, tantôt par explosion de démagogie, les statues ont été décapitées, les verrières brisées, les rues jonchées de débris de chefs-d’œuvre. Charles le Téméraire a brûlé Dinant et Liège. Les Gueux et les Iconoclastes ont brisé tout ce qu’ils ont pu d’œuvres d’art, bien avant les docteurs et les professeurs de l’armée von Heeringen. Tout cela est de l’histoire. Mais c’est de l’histoire ancienne et la seule raison qu’a l’humanité de se perpétuer de nos jours, sa seule excuse de durer encore, lorsqu’elle a tant dégénéré, — en art,