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Page:L'Art pendant la guerre 1914-1918.djvu/145

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C’est une délicieuse scène de genre, surprise dans quelque jardin de Paris, au Luxembourg, par exemple, à l’heure de la promenade. Tout le monde a le nez en l’air pour regarder ce qui se passe dans le ciel. Une joie sans mélange règne autour de ces nez levés par la curiosité : nez de l’étudiant de trentième année, nez de l’élégante à face-à-main et de son compagnon assis, jambes pendantes, sur la balustrade, nez du monsieur aux jumelles, nez du petit garçon arc-bouté sur son cerceau, nez du petit chien intrigué de ce qui se passe. C’est une scène de paix profonde, une des rares minutes où l’humanité oublie toutes ses misères pour s’attacher à une vision enchanteresse. C’est, dit M. Albert Guillaume, l’Heure du Taube.

Le Punch a traité à peu près le même problème psychologique, et la solution qu’il lui donne est une nuance du caractère anglais. Le Zeppelin a passé ; il a jeté une bombe sur le village et, entre autres désastres, a mis en miettes la maison de l’épicier. Mais l’épicier, un vieil homme à lunettes, n’est pas mort. Il prend donc un crayon et sur le dernier pan de mur branlant, il écrit avec application : « La maison est ouverte, comme d’habitude, l’après-midi… »

C’est que les Anglais et les Français, si différents en tout et en bien des choses si contradictoires, se ressemblent en un point : le mépris de la force brutale, le dédain du fait accompli — dès lors que ce fait blesse leur conscience. Nul peuple au monde