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Page:L'Art pendant la guerre 1914-1918.djvu/195

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« …maintenant tu peux m’apporter la protestation de l’ambassadeur américain. » Et le sous-ordre salue respectueusement, avec un rire silencieux, car il a compris : au loin, une tête de femme, les yeux bandés, gît dans le sang, et un soldat, le fusil sous le bras, comme un chasseur heureux, la regarde. C’est le « juste arquebusier ».

Il n’a pas manqué son coup, non plus, quand il a visé les femmes et les enfants que transportaient les paquebots : la Lusitania et les autres. Ils sont bien morts, étouffés, serrés convulsivement les uns aux autres pour s’entr’aider, se maintenir, un instant de plus, accrochés à une épave. Les voilà, glissant dans la profondeur des eaux calmes, les yeux agrandis par l’épouvante, les cheveux dénoués et flottants, les vêtements empesés par le lourd liquide, de grosses bulles d’air remontant à la surface, les faces glacées sous le mobile émail des eaux. Le souverain « a giboyé aux passants trop tardifs à noyer » et il a fait bonne chasse, grâce à la Mine flottante.

Il n’a pas été moins « juste arquebusier, » quand il a installé sa machine à tuer dans le ciel. Nous sommes à Paris, dans la rue, parmi l’embarras des voitures et des foules, une civière passe, encadrée de gardiens de la paix : c’est une fillette, pâle, exsangue, qu’on transporte à l’hôpital sans doute. On dirait, d’abord, un fait-divers de la paix, quelque chose comme l’Accident qui fît, dans des temps lointains, la réputation de M. Dagnan-Bouveret. Mais non : ici, il y a quelque chose d’inattendu et