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Page:L'Art pendant la guerre 1914-1918.djvu/228

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phénomène constant. Tant qu’il s’agit de petits ridicules, d’ambitions médiocres, ou même de crimes mesquins, l’ironie trouve, pour les flétrir, des formules dans l’immédiate réalité. Mais quand les événements dépassent le train ordinaire de la vie, lorsqu’il faut évoquer quelque chose de grand, d’impressionner vivement les âmes, l’artiste est obligé de faire appel aux souvenirs bibliques, aux histoires traditionnelles qui nous arrivent toutes chargées d’images et de rêves, du fond d’un lointain Passé.

Pour figurer le cataclysme mondial nié, jusqu’ici, par la raison humaine, et les forces secrètes et incoercibles qui l’ont déchaîné, il retourne, d’instinct, aux conceptions épouvantées de l’An mil, aux images du xiiie et du xive siècle. Le Prince des Démons, avec ses cornes, ses griffes et ses ailes de chauve-souris, quitte le tympan des vieilles cathédrales, la « pesée des âmes », les chaudières où « damnés sont boullus », et opère une rentrée triomphale aux kiosques des boulevards et dans les bibliothèques de chemins de fer, partout où l’on débite l’ironie vengeresse et le symbole à bon marché. Raemaekers, Edmund Sullivan, Will Dyson, la plupart des caricaturistes américains et allemands l’enrôlent dans leur troupe et en tirent des services éminents. Circé a quitté son rivage antique pour venir, chez Dyson et Sullivan, verser son breuvage maléfique aux « Boches» de 1914. La vieille Mort d’Holbein est rentrée dans le cycle habituel des figures qu’on voit dans les journaux.