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La face de Vanka Caïn ricanant surgit devant la porte ; derrière son épaule, sa maîtresse Akoulina, d’une haute taille, au corps osseux, à large face carrée dépourvue de toute expression, présentant l’aspect d’une pelle emmanchée, fixait la nouvelle venue d’un œil sombre.

— A-t-il de la veine, ce Bachka ! dit Vanka Caïn de sa voix rauque. Vous a-t-il joué un tour ?… C’est bien fait ! Bravo ! continua-t-il en se réjouissant de la scène qui se passait sous ses yeux.

— Que faites-vous donc là, tous muets comme des catéchumènes ? fit La-Figure en s’adressant à l’assistance. Êtes-vous engoués ? Faites-vous la chasse aux mouches ?

Déconcertés, honteux d’eux-mêmes et surtout de Bachka, nos amis firent la sourde oreille à cette provocation.

Bachka, épris de sa folie, se livrait à des bravades : c’est encore un refuge quand on se sent fautif. Prenant un air dégagé et, comme pour leur jeter un défi, il s’attabla à l’écart avec sa dame et se fit servir une bouteille d’eau-de-vie.

Ces malheureux se distinguaient par une subtilité excessive de sentiment, avec un tel raffinement de leur état psychologique que, pour s’entendre, ils n’avaient nullement besoin de la parole ; un signe, un geste leur suffisait. Leur protestation muette était donc pour Bachka plus sensible que ne seraient les injures et les voies de faits. La-Figure, dont le cynisme était sans bornes, ne s’attendait pas, évidemment, à une pareille réception ; le sourire impudent de l’ivresse errait toujours sur ses lèvres.

— Permettez-moi de vous servir, Figura Ivanovna, dit Bachka en affectant de prendre un air aimable pour narguer ses amis.

— Et toi-même, comment t’appelles-tu ? Je ne le sais pas encore, questionna La-Figure, faisant mine de ne rien comprendre à ce qui se passait autour d’elle.

— Je m’appelle Bachka…

— Un très joli nom, Bachka, oui ! Un élève de séminaire[1],

  1. Les séminaires ecclésiastiques en Russie reçoivent les enfants du clergé dès leur jeune âge. Les dernières classes seulement sont consacrées aux études théologiques spéciales que suivent les élèves qui se destinent à la carrière sacerdotale. Dans les classes inférieures l’enseignement correspond à celui des lycées. Traduct.