Page:L'Humanité nouvelle, année 1, tome 1, volume 1.djvu/594

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rer obtenir une place, étant recommandé par un personnage influent.

— Pour moi, il ne s’agit que de l’avoir, cette place ; alors, je ne songerai plus à la boisson. Avec Milotchka, nous reprendrons une existence régulière et charmante. N’est-ce pas, chérie ? conclut Médaillon.

— Cela va de soi… Oui, une vie charmante, répéta machinalement La-Figure en baissant la tête.

— Savez-vous ce qui nous a tous perdu ? reprit Bachka avec un air profond : c’est notre amour-propre… rien que notre amour-propre. Tout le système de notre éducation repose sur ce mot ; c’est le sentiment qu’on nourrit en nous dès notre enfance. Je le sais par moi-même, et c’est là le sort fatal qui attend tous les lauréats. Déjà corrompus dès notre sortie de l’école, nous nous croyons des hommes supérieurs et, hommes supérieurs nous voulons rester dans la vie qui doit se dérouler devant nous dans des conditions spécialement favorables ; parce que nous, nous ne saurions végéter comme les masses populaires, aux prises avec la misère ; la destinée de ces masses ne saurait pourtant nous épargner. Manquant de force et d’énergie, nous descendons graduellement sans un appui pour nous arrêter… c’est notre chute… Qu’est ce que nous faisons pour nous protéger nous-mêmes ?… L’orgueil nous étreint, l’ambition nous dévore… Nous nous heurtons à chaque pas, vexés dans notre amour-propre… Et c’est alors, que nous demandons à l’ivresse, à la débauche, des instants d’oubli… Triste consolation… N’est-ce point juste tout cela ?

— Ce n’est que trop juste, appuya Médaillon.

— Et nous sommes trop nombreux, hélas ! continua Bachka. À qui donc pouvons-nous imputer notre chute dont la société entière est responsable. Quand tout le monde est en cause, personne n’est en cause… On ne saurait accuser la transmission d’une machine qui brise le bras de tel individu ou qui broie tel autre. Tout ce qui existe a sa raison d’être, ergo, a droit à l’existence. Le fait s’impose et il est au-dessus de toutes les lois… Oui… Et si je dis que nous sommes perdus à cause du système défectueux de notre organisation sociale, ce n’est qu’une façon de parler. C’est une forme que j’ai choisie pour me rendre compréhensible. On peut commenter les faits, mais il serait puéril de s’en fâcher ou de s’en réjouir. Il n’y a qu’un